G comme Gertrude

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 8 minutes




Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches


Je vous donne aujourd’hui rendez vous à Paris, le 20 germinal an 13 – 1er avril 1805 – au 35 rue des fossés montmartre – actuellement la rue d’Aboukir. Maitre Louveau, notaire à Paris, s’y est rendu au domicile de Gertrude Girardin, pour rédiger le contrat de son futur mariage avec Charles Jacques Bérard.

Archives Nationales – AN_MC_ET_XXXVIII_811

Charles Jacques Bérard est le fils des sosa 346 – Jacques Philippe Bérard – et 347 – Thérèse Devienne – de mes enfants.

Je ne sais pas grand chose de Charles, né vraisemblablement à Paris, mort je ne sais ni où ni quand.

Si ses parents sont morts, ses trois sœurs sont présentes à la signature du contrat, ainsi que certains de ses cousins issus de germains, appartenant à la famille Pelletier de Chambure.

Aperçu généalogique
Branche Karcher
Nom: Françoise Bérard
Parents: Jacques Bérard et Thérèse Devienne
Epoux : Denis Bonaventure Pelletier de Chambure
Lien de parenté: Aïeule de mon mari à la 7ème génération
  1. Françoise Bérard
  2. Alexandre Pelletier de Chambure
  3. Louise Arnoldine Pelletier de Chambure
  4. Marie Jeanne Jung
  5. Daniel Karcher
  6. Christiane Karcher
  7. mon mari

Mais c’est à l’épouse que je vous propose de nous intéresser, à Gertrude Girardin. Dès l’énoncé de son état civil, le personnage est intéressant.

Et Dame Gertrude Girardin, majeure, veuve de M. François Hilaire Bouron, ancien magistrat, & avant épouse divorcée de M. Louis Marcel Lheureux, dont elle déclare avoir un fils né le vingt quatre septembre mil sept cent quatre vingt trois; la dite dame veuve Bouron, comparante, majeure, fille de défunts M. Gérard Girardin & de Dame Jeanne Roy sa femme demeurante à Paris rue des fossés montmartre n°35, agissante pour elle & en son nom

Gertrude Girardin est née le 19 août 1756 à Troyes, de Gérard Girardin, aubergiste, et Jeanne Roy, son épouse. Elle a au moins deux soeurs – Marie Madeleine, née en 1758, et Catherine, et un frère, Pierre.

Deux des filles Girardin, Marie Madeleine et Gertrude, ont une âme d’artiste. Elles chantent, et c’est décidé, elles seront cantatrices, ou plus modestement artistes lyriques. Mais pour ça il faut quitter Troyes.

Marie Madeleine part à Reims. Gertrude se rend à Paris, avec un but : devenir artiste lyrique. J’ai trouvé dans l’article de Patrick Taïeb – Le Concert de Reims – de très nombreuses informations sur la carrière des deux sœurs, et la certitude de ma Gertrude n’est pas une homonymie.

La mention de Troyes et de Reims, où Marie Madeleine se marie le 14 février 1788 avec un certain Etienne Chambon, confirme ma découverte. Ce mariage est également évoqué dans l’article de Patrick Taïeb.

C’est cet article qui me permet de confirmer que la Gertrude Girardin qui épouse Charles Bérard en 1805 à Paris a bien été artiste lyrique, et a fait partie de l’Académie royale de musique à Paris et du Concert de Reims. Nulle part dans les actes notariés ou d’état civil que j’ai retrouvé pour elle pour l’instant il n’est fait état de sa profession avant la révolution. Mais les données d’état civil de Marie Madeleine indiquées dans l’article correspondent aux actes d’état civil que j’ai retrouvés pour elle.

Revenons donc sur le parcours de Gertrude Girardin, artiste lyrique, belle-sœur de Thérèse Bérard, l’ancêtre de mes enfants.

Gertrude fait ses débuts à Paris, en août 1770, à l’Académie royale de musique – l’ancêtre de l’Opéra national de Paris – , dans le rôle d’une bergère, dans Les Fêtes d’Hébé, un opéra de Rameau joué pour la première fois le 21 mai 1739.

BNF – Costume de bergère pour l’opéra-balle les Fêtes d’Hébé de Rameau
Dessins et croquis de costumes pour les opéras représentés à Paris et à Versailles de 1739 à 1767. Dossier « Talents lyriques »
Louis-René Boquet (1717-1814), 1764.
BnF, Département des Manuscrits, Rothschild 1462 (1519-3-12), n° 6

Dans son livre sur l’Académie royale de musique au XVIIIe siècle, Emile Campardon consacre quelques lignes à Gertrude et à ses démêlés avec la justice. Pour lui, cette artiste avait peu de moyens, mais elle était pleine de bonne volonté et se rendit nécessaire au théâtre par son zèle et son assiduité. On l’employait généralement pour les rôles de Confidentes ou de Coryphées. En 1789, elle était encore attachée à l’Opéra.

Emile Campardon reprend la plainte déposée par Gertrude en juillet 1781 concernant ses démêlés avec sa servante, Louison, qui lui a jeté le contenu d’un pot de chambre à la figure. En 1785, Gertrude, qui demeure paroisse St Laurent, carré de la porte St-Denis, vient porter plainte suite à la réception d’une lettre d’un marchand de vin lui annonçant l’envoi de deux feuillettes de vin, que Gertrude n’a aucunement l’intention de réceptionner, ni de payer, ne les ayant pas commandés.

Détails amusants qui montrent que Gertrude ne s’en laisse pas compter.

Pour la saison 1774-1775, elle est engagée avec sa soeur Marie Madeleine à Reims, pour des cachets pour la saison de 600 livres pour Marie Madeleine, 1100 livres pour Gertrude. Ce cachet particulièrement élevé vient il du fait que la cantatrice appartient à l’Opéra de Paris, et que son prestige rejaillit sur le Concert de Reims?

Gertrude semble partager son temps professionnel entre Paris et Reims, jusque vers 1780, date à laquelle il semble qu’elle soit plus régulièrement attachée à l’Académie royale.

Gertrude, dont la mère est morte en 1775 et le père en 1779, à Troyes, vit à Paris depuis environ treize ans. Le 24 septembre 1783, elle met au monde à son domicile, rue des boucheries, paroisse St Roch, un fils, Louis, de « père absent ». L’enfant, Louis Girardin, est baptisé le lendemain en l’église St Roch.

Leonore – Dossier de Louis Lheureux-Bourron

Extrait du Registre des Actes de naissance de la
paroisse St Roch pour l’année 1783
L’an mil sept cent quatre vingt trois le vingt cinq
septembre a été baptisé par nous vicaire soussigné Louis,
né hier, fils de Gertrude Girardin de cette paroisse rue des boucheries et d’un père absent …

On pourrait penser que Gertrude, mère célibataire, jouissant de ses droits puisqu’elle n’a ni mari, ni père, est automatiquement tutrice de son fils. Ce n’est visiblement pas si simple.

Le 24 mars 1787 au Chatelet de Paris a lieu une réunion, à la demande de Gertrude, pour confirmer sa position de tutrice du jeune Louis. Elle fait cette demande suite à une donation reçue par son fils.

5 Louis né le vingt quatre
6 septembre 1783 dit dans le monde de St Hilaire, fils
7 de demoiselle Gertrude Girardin fille majeure

6 par un particulier qui n’a voullu
7 être nommé et qui a declaré en faire donnation
8 entre vifs et irrevocable à la ditte demoiselle Girardin
9 et audit sieur son fils; que ladite donation a été accceptée par
10 laditte demoiselle Girardin tant en son nom personnel
11 comme ayant pendant sa vie jouissance de la ditte rente
12 tontine que comme mere dudit Louis de Saint Hilaire

Un homme, non dénommé, dans le cadre d’un emprunt de 6 millions de livres passé par le duc d’Orléans, a pris une obligation de 1000 livres nominal – donc une créance sur le duc d’Orléans – portant intérêt de 50 livres par an – au nom de Louis et de sa mère. Au cours de cette audience, il n’y a pas de parent du jeune Louis, à part sa mère, juste des amis. Parmi eux, je note la présence d’un certain François Hilaire Bourron, écuyer, conseiller du roi au Chatelet de Paris, ce même François Hilaire Bourron dont Gertrude est veuve quand elle épouse Charles Bérard en 1805.

Le 28 janvier 1789, Gertrude se marie. Elle a 32 ans, un fils de presque 6 ans. Elle épouse Louis Marcel Lheureux, commis aux fermes, l’équivalent de controleur des impôts de nos jours, dont la mère est présente au mariage. A la fin de l’acte de mariage, les nouveaux époux déclarent la naissance de Louis et le reconnaissent.

et au même instant les parties nous ont déclaré qu’il
etait issu de leurs faits et oeuvres un garçon baptisé en l’eglise de
St Roch le vingt cinq septembre mil sept cent quatre vingt trois
comme fils d’un père absent et de Gertrude Girardin et à qui
on a donné le nom de Louis, lequel ils reconnaissent leur appartenir
et habile à succéder à leur biens presens et à venir en présence
des témoins ci dessus nommés

La morale est sauve, le père naturel – le père absent – du jeune Louis épouse sa mère.

En fait, peut-être pas …

Le 19 mars 1784 a eu lieu au Chatelet de Paris une réunion en vue d’une tutelle pour les huit enfants mineurs de Jean Pierre Lheureux, décédé récemment. Les dates de naissance de chacun des enfants, né à Paris, y est clairement mentionnée. J’y lis ainsi que Louis Marcel Lheureux – celui qui épouse Gertrude en 1789 – est né le 10 mars 1769.

S’il est le père biologique du fils de Gertrude, il est devenu père – non officiel, mais père quand même – à 14 ans et 6 mois, d’un enfant qu’il aurait engendré avant ses 14 ans. Et qui plus est, du haut de ses 14 ans, il aurait eu une liaison – ou au moins une aventure d’un soir – avec une actrice lyrique de 27 ans.

J’ai comme un doute ….

Si j’ajoute à mes interrogations que le père biologique du jeune Louis aurait fait une donation de 1000 livres en décembre 1786 à l’enfant de l’amour qu’il aurait eu avec sa belle cantatrice, je suis encore plus perplexe. A moins de 18 ans, il disposerait de 1000 livres sans que personne, ni sa mère, tutrice, ni son subrogé tuteur, ne réagisse … Je n’y crois pas une seconde.

Quoiqu’il en soit, le jeune Louis Girardin de Saint Hilaire devient désormais officiellement Louis Lheureux.

Le 30 décembre 1798, nouveau rebondissement. Gertrude, 42 ans, qui a divorcé de Louis-Marcel – tiens donc ? – épouse François Hilaire Bouron, 53 ans. Malheureusement, je n’ai pour l’instant aucun autre élément concernant ce mariage que la fiche du fonds Andriveau. Il est évident que le couple a dû passer un contrat de mariage, mais je n’ai pas encore été en mesure de le trouver. Pourtant, ce contrat me permettrait de savoir quand Gertrude a divorcé, et de savoir si François Hilaire était précédemment marié.

Rappelez vous, François Hilaire est présent en 1787, quand il s’agit de confirmer Gertrude dans son rôle de tutrice pour son fils. Quelques semaines avant, il a réglé la succession de sa mère, décédée. Est ce lui qui a versé les 1000 livres de façon anonyme? Le fait qu’il soit présent depuis au moins 1787 dans la vie de Gertrude et de son fils Louis, et qu’en 1798 il l’épouse, m’interpelle.

Qui plus est, le 11 mars 1803 – 20 ventôse an XI – François Hilaire – Hilaire, comme le Saint Hilaire attribué comme patronyme usuel au petit garçon en 1787 – François Hilaire Bourron, donc, adopte Louis, qui a maintenant 19 ans.

Le fils de Gertrude s’appelle désormais Louis L’heureux-Bouron, et c’est sous ce patronyme qu’il va être aspirant sur les navires de l’empereur, puis travailler à la Banque de France, avoir la Légion d’Honneur, avoir une descendance.

Le 22 mars 1804, François Hilaire, qui n’a encore que 59 ans, décède à son domicile, rue des fossés Montmartre, paroisse St Eustache. Sa veuve est loin d’être démunie, très loin.

Pourquoi diable se remarie t’elle, encore une fois, alors qu’elle a désormais 48 ans, et que son dernier mariage avec un magistrat lui a donné la respectabilité que son passé professionnel d’artiste lyrique mère célibataire avait pu écorné.

Pourquoi Charles Bérard, le seul homme de sa famille, qui n’a encore jamais été marié, qui n’a pas d’héritier, l’épouse t’il ? Le patrimoine de Charles est inférieur à celui de Gertrude, il n’apporte dans le mariage que les droits à la succession de sa mère, bourgeoise aisée, certes, mais dont l’héritage doit être partagé entre quatre enfants. Gertrude, avant le contrat de mariage, fait faire un inventaire de ses biens : immobilier, meubles de prix, bijoux, son patrimoine, sans être extravagant, est bien supérieur à celui de Charles.

Alors pourquoi ?

Quoiqu’il en soit, le couple est toujours marié le 17 octobre 1815, quand Gertrude Girardin, femme Bérard, décède à Jouy-le-Moutier, à proximité de Pontoise, à l’âge de 59 ans.

J’ai trouvé en ligne quelques rares arbres généalogiques de descendants de Gertrude, qui n’ont qu’un nom et qu’un premier mariage . J’ignore s’ils savent qui fut leur ancêtre, une femme dont j’ai apprécié de retracer rapidement la vie. Si j’étais romancière, Gertrude serait vraisemblablement un personnage avec qui j’essaierais de passer du temps.

Sources et liens

  • Archives nationales – Contrat de mariage Charles Bérard & Gertrude Girardin – MC/ET/XXXVIII/811
  • Gallica – Titre :  L’Académie royale de musique au XVIIIe siècle. Documents inédits découverts aux Archives nationales, par Emile Campardon Auteur :  Campardon, Émile (1837-1915). Auteur du texte Date d’édition :  1884
  • Gallica – Titre :  La reine de Golconde , opéra en 3 actes, représenté à Versailles devant Sa Majesté, le… 16 mai 1771 Auteur :  Sedaine, Michel-Jean (1719-1797). Auteur du texte Éditeur :  (Paris) Date d’édition :  1772 Contributeur :  Monsigny, Pierre-Alexandre (1729-1817). Compositeur
  • Taïeb, Patrick. “Le Concert De Reims (1749-1791).” Revue De Musicologie, vol. 93, no. 1, 2007, pp. 17–52. JSTOR, www.jstor.org/stable/20141697.
  • Leonore – Dossier de légion d’honneur de Louis Lheureux-Bourron _ LH 1633 18

A partir de 8’50 – Air D’Une Bergere : « L’Amour Regne En Ces Bois »

3 réponses à “G comme Gertrude”

  1. Sans aucun doute un personnages de roman! Il n’y a plus qu’à… 😉

  2. Eh bien, Gertrude a une histoire vraiment passionnante ! Effectivement, ça donne envie d’en faire une histoire. C’est super d’avoir pu découvrir tout ça sur sa vie en tout cas 🙂

  3. Absolument passionnant Brigitte ! On rentre dans la vie de Gertrude en suivant son parcours et les anecdotes de sa vie (j’imagine en riant la scène du pot de chambre ). Je te suis dans ton hypothèse sur le père biologique de Louis. Ça ne colle effectivement pas avec le premier mari de Gertrude. L’enquête continue !

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