Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches
Je vous ai raconté l’histoire de Claudine, la cousine germaine de mon père, résistante dans l’Hérault à 16 ans. Claudine habitait à Castelnau-le-lez, à proximité de la maison du couple Paul-Hubert. C’est par eux qu’elle était entrée, si jeune, dans la résistance. J’ai voulu en savoir plus sur la « madame Paul-Hubert » qu’elle mentionnait dans son dossier de demande d’homologation FFI. L’enquête a été longue, mais voici l’histoire de Marie Philomène Gruet, dite la Comtesse, et de son époux l’homme de lettres Paul Albert Hubert.
C’est dans l’Aisne, à Coincy-l’Abbaye, que nait le 25 juin 1872 Paul Albert Hubert, fils d’Onésime Alexandre Hubert, voyageur de commerce, et de Marie Joséphine Desmarets, son épouse. La famille ne reste pas dans l’Aisne et part dans les années 1880 probablement dans la région de Montpellier.
Dans l’ouvrage Poètes d’hier et d’aujourd’hui, publié en 1916, trois pages sont consacrées au poète Paul-Hubert, le nom de plume que Paul Hubert va adopter également dans sa vie civile, plus tard.
Certaines données chronologiques sont inexactes – et ont compliqué mes recherches – mais cette monographie des débuts de la vie de Paul m’aide à mieux suivre son parcours.
L’influence des paysages languedociens sur la poésie que Paul-Hubert va écrire y est mise en avant.
Le 5 novembre 1890, à peine sorti du lycée, Paul s’engage pour 3 ans à la mairie de Montpellier, et il est affecté au 162e régiment d’infanterie. Il va y rester du 9 novembre 1890 au 5 novembre 1893, et en sort sergent.
Paul mesure 1,63m, il est chatain, n’a pas vraiment de signes particuliers, et a un niveau 4 d’éducation.
Au printemps 1899, Paul quitte la région de Montpellier et monte à Paris. Il habite dans le 14ème arrondissement, avenue du Maine, Boulevard Raspail, , pas loin du Café de Flore, dans l’ambiance bouillonnante de la Belle Epoque. Peut-être y croise t’il Appolinaire, devant un verre d’absinthe ? A partir de 1910, il vit rue Girardon, du côté de Montmartre.
Depuis 1898, Paul-Hubert publie des recueils de poèmes, et en 1906, son poème intitulé Les Horizons d’Or obtient le prix Sully Prudhomme, un prix annuel décerné à un jeune poète, créé par le poète Sully Prudhomme avec le montant de son Prix Nobel de Littérature de 1901. En 1906, ce prix est décerné par la Société des gens de lettres. Paul-Hubert y gagne une petite célébrité.
Paul Hubert ne vit pas que de ses poèmes. Il vit de sa plume en collaborant à de nombreux journaux, sous différents noms de plume.
En 1908, il a 36 ans et il est toujours célibataire. Il se rend à Merville, dans le Nord, où il est témoin au mariage de Georges Brisset, veuf, 36 ans lui aussi, originaire de Paris et habitant professionnellement à Lille, avec une jeune fille de 21 ans, Marie Philomène Gruet. C’est la première rencontre – dont j’ai une trace officielle – entre Paul-Hubert et sa future épouse, madame Paul-Hubert.
Marie Philomène Gruet est née le 1er avril 1887, à Lomme, de Désiré Auguste Gruet, cantonnier, et de son épouse, Marie Philomène Manchez. Le couple habite à Lille. Depuis 1899, Georges Brisset est réformé définitivement, pour une myopie très sévère.
Quand les troupes allemandes envahissent Lille, le 13 octobre 1914, après deux jours de siège, une partie de la population résiste. C’est le cas de Marie Philomène, qui au sein d’un réseau – peut-être celui de Louise de Bettignies – organise les filières pour l’évasion des prisonniers français.
A Paris, Paul est rappelé à l’activité dès le 3 août 1914, mais il n’est pas versé dans une unité combattante. Il est tout d’abord commis greffier au Conseil de guerre, 37e division. Il se marie le 24 juillet 1915, à 43 ans, avec Jeanne Marie Duhard. Elle a 40 ans, elle est « femme de lettres », probablement poétesse ou journaliste, et vit comme lui au 14 rue Girardon à Montmartre. Vivent ils ensemble et ont ils décidé de « régulariser » la situation à cause de la guerre ?
Paul passe toute la guerre à travailler dans différentes divisions du Conseil de Guerre. Il est enfin libéré le 3 février 1919. Il a 46 ans. Ses états de service indiquent une campagne contre l’Allemagne du19/04/1915 au 16/11/1918.
Le 6 novembre 1925, Paul, qui est désormais chroniqueur judiciaire au Petit Journal, est nommé chevalier de la Légion d’Honneur, en raison de son activité en qualité d’officier d’administration de 2e classe de réserve du Service de la Justice Militaire du Gouvernement militaire de Paris. Il est également officier de l’Instruction Publique. C’est Maurice Guillaume, le patron du Petit Journal, Officier de la Légion d’Honneur, qui lui remet sa décoration.
Lors du recensement de 1926, le couple habite toujours au 14 rue Girardon.
Le 8 mars 1928, Paul, 55 ans, qui est probablement veuf – sans que j’ai encore trouvé le décès de sa première épouse – s’est remarié, à la mairie du 18ème arrondissement, avec Marie Philomène Gruet, 40 ans, probablement veuve elle aussi. Désormais, Marie Philomène Gruet va se faire appeler madame Paul-Hubert, et son mari utilise son nom de plume Paul-Hubert dans les documents administratifs.
En 1931, Albert Paul-Hubert et son épouse Marie habitent rue du Jeu de Boules, à Castelnau-le-Lez, à côté de Montpellier. Sur le recensement, les dates et lieux de naissance ont été intervertis entre l’époux et l’épouse, mais il n’y a pas de doute.
Le recensement de 1936 confirme leur présence à Castelnau.
Le couple habite le Clos des Verdures, une jolie villa dans un grand jardin, et pense sûrement passer une retraite paisible. Selon la municipalité de Castelnau, qui a acheté la propriété en 2014, il s’agit d’une maison de caractère, de style chalet Napoléon III du 19e siècle, implantée au coeur d’un parc arboré de 1700 m2.
Quand l’armée allemande pénètre en France, en mai 1940, Paul a 68 ans, Marie en a 53. Pourtant, très vite Marie rejoint la résistance.
Dès l’appel du 18 juin, elle résiste sans appartenir à un réseau précis. Recrutée en avril 1942 par le capitaine Louis Bouzat du reseau Ulysse, elle participe en décembre 1942 à la création du maquis Bertrand, qui se cache du côté du Bousquet d’Orb. Elle recrute des jeunes gens, des refractaires au STO, des jeunes de la région ou qui ont franchi la ligne de démarcation – dont la cousine germaine de papa – qu’elle engage et convoie jusqu’au maquis Bertrand. Dans sa villa du Clos des Verdures, elle cache et héberge les jeunes gens sur le départ pour le maquis, des parachutistes anglais, qui vont ensuite passer en Espagne, des familles juives qui ont réussi à fuir. Elle distribue des tracts, imprime des journaux clandestins, transporte ou fait transporter des armes.
De janvier 1943 à la libération, elle travaille sous les ordres directs du commandant Beffre – nom de guerre Bertrand – et du commandant Janvier – nom de guerre Suberville.
Dès 1940 ma maison a été un asile pour les gens traqués par les Boches et les gens de Vichy. Les évacués de partout Belges Français qui fuyaient les boches ensuite les Juifs dont certains sont restés chez moi près d’un an. En avril 1942 je suis entrée en liaison avec les GF. Je me suis occupé du service social pour eux agent liaison avec les maquis Camarest Manyvel Quillan et le maquis du Bousquet d’Orb que j’ai créé en partie ma maison un centre d’hébergement des OJf? en deplacement beaucoup de réunion ont eu lieu chez moi et beaucoup de décisions concernant la libération ont été prises dans ma maison en un mot moi et mon mari avons été au service de la France et avons fait tout notre devoir de Français aujourd’hui à notre âge par suite des vols dont nous avons été victime nous sommes obligés à travailler pour essayer de finir nos jours à peu près tranquillement mais c’est difficile n’ayant jamais été facilité malgré notre désintéressement total pendant la guerre pour toutes les victimes que nous avons sauvées.
Marie, dite la Comtesse, est adjudant en avril 1942, puis nommée le 1er janvier 1944 à Montpellier lieutenant par le lieutenant colonel Chauliac, chef régional AS R3.
Paul lui appartient au M.U.R. de Montpellier du 1er mars 1943 jusqu’à la libération.
Résistance volontaire morale patriotique et française effective et clandestine, par propagande parlée ou ecrite pendant toute l’occupation et en collaboration ave sa femme madame Marie Paul-Hubert. […] C’est au Clos des verdures qu’eut lieu la grande reunion clandestine de tous les chefs de la Résistance regionale et où furent prises les directives de la prochaine libération.
Début août 1944, un résistant appartenant au M.U.R., arrêté et torturé par les miliciens à la caserne Lauwe à Montpellier, craque et donne l’adresse du Clos des Verdures. Le 8 août 1944, les miliciens débarquent dans la villa, arrêtent Marie et Paul qu’ils conduisent à la caserne pour y être interrogés, torturés. Pendant ce temps, la maison est totalement pillée par les miliciens. Marie et Paul sont internés pendant 10 jours dans la prison de sinistre réputation. Ils sont condamnés à mort et n’échappent à l’éxecution que grâce au désordre que la libération de Montpellier, le 18 août 1944, a provoqué dans les geôles de la milice.
Paul a 72 ans, Marie en a 57. Leur maison a été ravagée, leurs biens volés, ils ont été torturés et n’ont pas fléchi.
Au dossier de demande d’homologation FFI qu’ils font tous les deux sont joints des témoignages de résistants gradés qui les ont connus. Les attestations concernant Marie sont particulièrement impressionnantes. Je vous propose des extraits de deux de ces attestations, le dossier en comporte quatre.
Le 16 août 1945, Marie reçoit la croix de guerre avec étoile de bronze, en août 1947, elle reçoit la médaille de la Résistance. Paul ne demande a priori pas de médaille, il est proposé pour devenir officier de la Légion d’Honneur, mais cela ne se fera pas.
Paul Albert Hubert, dit Jean Noël, meurt dans sa villa du Clos de Verdure le samedi 3 mai 1952. Il avait 79 ans. Marie Philomène Gruet, son épouse, meurt à l’hopital de Montpellier, le 5 février 1957, à l’âge de 69 ans.
Ils ne laissent pas d’enfant derrière eux, uniquement des neveux qui habitent près de Montpellier.
Epilogue
J’ai fait cette recherche parce que Claudine Billard, la cousine germaine de mon père, était la secrétaire d’une madame Paul-Hubert mentionnée dans son dossier d’homologation FFI. Je ne m’attendais pas à découvrir ces personnages hors du commun. Après avoir lu leur dossier, j’ai essayé de savoir si leur souvenir avait été conservé, au moins à Castelnau-le-Lez, au moins au Clos des Verdures. Et rien … pas une plaque, pas une ruelle ne rappelle la mémoire de ces deux résistants locaux. La villa, rachetée par la municipalité, est parfois visitée lors des journées du patrimoine, mais les événements qui y ont eu lieu ne sont pas mentionnés. Sont ils au moins connus ?
Si j’ai un souhait pendant ce Challenge AZ, c’est que la municipalité de Castelnau tombe sur mon article, et se renseigne sur le parcours de Marie Philomène Gruet et Paul Albert Hubert …. et peut être appose une petite plaque du souvenir sur leur maison ….
Sources et liens
- SHD – Dossier FFI de Paul Albert Huber- – cote GR 16 P 297688
- Base Leonore – Dossier de Légion d’honneur de Paul Albert Hubert
- SHD – Dossier FFI de Marie Paul-Hubert – Cote GR 16P 461151
- Archives de l’Aisne – NMD Coincy 1863-1872 – Acte de naissance de Paul Albert Hubert – acte 34 vue 293/331
- AD34 – Registre matricule Montpellier 1892 – Fiche matricule de Paul Albert Hubert – Matricule 1774 vue 384/725
- Café de Flore
- Paris Zigzag – Le café de Flore
- Archive.org – Poètes d’hier et d’aujourd’hui – Paul-Hubert
- Retronews – Les Annales politiques et littéraires – 22/09/1907 – Revue du poème Les Horizons d’Or
- Archives Paris – Registre matricule Paris 4e bureau – Fiche matricule de Jule Paul Brisset – matricule 2138
- Wikipedia – Louise de Bettignies
- Wikipedia – Maurice Guillaume
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