A la recherche d’une lectrice de Balzac

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 6 minutes


Temps de lecture: 6 minutes

En 1833, une certaine Eulalie Falloux de Chateaufort, de Saumur,  écrivait à Balzac pour lui faire part de son ressenti après la lecture de son ouvrage Physiologie du mariage.

Cette semaine, j’ai été contactée par l’éditeur de la correspondance de Balzac, qui cherchait des renseignements sur cette Eulalie. Pourquoi moi ? Parce que je suis une des seules dans les arbres en ligne de Geneanet à faire mention de quelques « Falloux de Chateaufort » aux alentours de Saumur, vers cette époque. Quand on vous dit qu’un arbre en ligne est une ressource au même titre qu’un blog …

Qui sont ces Falloux de Chateaufort et que font ils dans ma généalogie ?

Souvenez vous de Jean Poitevin et d’Angélique Devienne, qui avaient fait fortune en créant une péniche de bains sur la Seine. Angélique était la fille d’Henri Devienne et de Marie Thérèse Lebois Duclos, la soeur de Therèse Devienne, ancêtre de mes enfants.

[geneanet-embed-individual url= »http://gw.geneanet.org/bsky92_w?iz=13005&n=devienne&oc=0&p=therese » link_type= »fiche » align= »center » /]

 

Une des filles du couple, Angélique Sophie, épouse en avril 1778 à l’église Saint Sulpice à Paris Paul Antoine Edouard Falloux de Chateaufort, et part vivre avec lui en Anjou : Angers, Saumur, Charcé vont être leurs lieux de résidence et les lieux de naissance de leurs trois enfants :

  • Angélique Louise Sophie à Angers, le 14 mars 1779
  • Paul Louis Gaspard à Angers le 23 octobre 1782
  • Pauline Sophie Marie à Charcé le 13 septembre 1790

C’est à peu près tout ce que je savais de la famille Falloux de Chateaufort quand j’ai été contactée.

Clairement, je n’avais pas d’Eulalie Falloux de Chateaufort dans mon arbre, mais s’agissait il d’une soeur que je n’aurais pas trouvée, ou d’un prénom usuel choisi par une des deux soeurs ?

Pour en savoir plus, je suis partie à la recherche, à l’aide principalement de Filae, de naissances supplémentaires dans la fratrie, que je n’ai pas trouvées, puis des événements de vie : mariages, enfants, décès, des trois frère et soeurs.

C’est avec l’acte de décès de Paul Louis Gaspard que j’ai trouvé la solution. Paul y était dit marié à Marie Eulalie Boureau de la Guesserie, sa veuve …. La voilà mon Eulalie Falloux de Chateaufort.

Pourtant, le Dictionnaire historique et généalogique du Poitou, plus connu sous le nom de ses auteurs, Beauchet-Fillon, avait affirmé dans son édition de 1905 que Paul Gaspard était décédé sans alliance …. Au temps pour lui …

Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou. Tome troisième, Dabadie-Gautreau (Seconde éd. entièrement refondue, considérablement augmentée et publiée par H. Beauchet-Filleau et Paul Beauchet-Filleau avec le concours des RR. PP. H. et G. Beauchet-Filleau,… et la collaboration pour la partie héraldique de M. Maurice de Gouttepagnon) / par M. H. Beauchet-Filleau…

Qu’importe, j’avais une identité pour Eulalie, je pouvais aller à sa rencontre.

Marie Eulalie Boureau de la Guesserie

Voici ce qu’une journée de recherches dans les archives du Maine-et-Loire, avec l’aide de Filae et de Geneanet, m’a permis de trouver :

Arbre généalogique de Marie Eulalie Boureau de la Guesserie – Logiciel Heredis

Marie Eulalie nait le 5 septembre 1790 à Saumur, seconde fille d’André Boureau de la Guesserie, âgé de 45 ans et d’Anne Marie Thibault de la Thibaudière, 25 ans. Des deux côtés de la famille, on compte des conseillers au roi, des procureurs, bref ce qu’on appellerait aujourd’hui des hauts fonctionnaires de justice ou de police, à différents niveaux, dans une sénéchaussée de province. De façon générale, les enfants, filles et garçons, sont éduqués dans les établissements religieux de la ville, et les idées des Lumières des premiers mois de la Révolution sont les bienvenues. La famille de Marie Eulalie devrait en théorie obtenir plus de pouvoir et plus de liberté dans la nouvelle société qu’on espère.

Depuis 1789, c’est Joseph Toussaint Bonnemere de Chavigny, l’oncle maternel d’Anne Marie Thibaultqui est maire de Saumur, jusqu’à son départ en 1790 pour être député de Saumur à l’Assemblée Constituante.

Quand le gouvernement décide la levée de 300 000 hommes en 1792 pour protéger la nation, pour quelle raison André Boureau, dit Guesserie, décide t’il de les rejoindre ? Il a pourtant 47 ans, deux enfants en bas âge, mais il rejoint l’Armée des Côtes de la Rochelle comme simple fusillier.

Le 11 avril 1793 à Coron, dans un des premiers affrontements entre les armées républicaines et les troupes vendéennes qui viennent de se soulever, André Boureau est tué.

L’acte de décès établi par l’armée est ensuite retranscrit au Coudray-Macouard.

Boureau
aujourd’hui deux juin mil sept cent quatre vingt treize l’an deuxieme de la republique française à neuf heures du matin a été transcrit par moi anne, drouin, emmanuel moreau membre du conseil général de la commune du coudrai departement de mayenne et Loire elu le quatre novembre dernier pour dresser les actes destinés à constater les naissances mariages et le decés des citoyens sur le present registre le certificat qui suit
nous officiers de la sixieme compagnie du quatrième bataillon de l’armée des côtes de la rochelle certifions que le citoyen Bourreau dit guesserie de la commune du coudrai macouard district de Saumur fuzellier de la dite compagnie etait present au combat livré au dessus de coron le onze avril dernier entre l’armée des patriotes et celle dite catholique et royaliste, qu’à l’issue de la bataille il manqua à l’appel faite après le ralliement des compagnies et que d’après les declarations à nous faites par les citoyens gamichon pasquier salmon raffray témoings oculaires de sa mort, il est constant qu’il succomba ce jour sous les coups de l’ennemi. pourquoi nous avons delivré le present certificat pour être inscrit sur le registre des decès de la commune de coudray et servir et valoir ce que de raison. Au cantonnement de Soulangé le 24 mai 1793 L an 2 de la republique et ont signé foucher capigaire, fremantier lieutenant, nali sous lieutenant et dairain sergent major
fait à la chambre commune les jour et mois et an de l’autre part
Signé anne, drouin, emmanuel moreau

A 28 ans, Anne Marie Thibault de la Thibaudière est veuve avec deux petites filles. J’ignore comment la période troublée de la révolution, avec les différentes prises de Saumur par les armées vendéenne et républicaine, a été vécue par cette jeune femme. J’imagine qu’elle a trouvé refuge auprès de sa famille maternelle.

Je retrouve Marie Eulalie à quelques semaines de son 21è anniversaire, le 15 juillet 1811, quand elle épouse à Saumur en présence de sa mère Paul Louis Gaspard Falloux de Chateaufort, son ainé de 8 ans. Elle est la première des deux soeurs à se marier et épouse un jeune homme de sa génération, ou à peu près, alors qu’un an plus tard, en novembre 1812, sa soeur Anne Hélène épousera à 24 ans Jean Noyelle, 39 ans. Marie Eulalie a t’elle fait un mariage où l’attirance ou les sentiments ont eu leur part ? Ce ne sont que des conjectures …

Un peu moins de 10 mois plus tard, le jeune couple est au Coudray-Macouard quand on fait venir de Saumur deux médecins, François Chapuis et Michel Toque, pour assister la jeune femme lors de son premier accouchement.

La lecture de l’acte de naissance de la petite fille, morte in utero, fait froid dans le dos.

Naissance d’une enfant annonime de M. falloux la guesserie
Du premier jour de mai mil huit cent douze
Acte de naissance d’un enfant femelle annonime, née de la
nuit dernière à dix heures du soir en cette commune
du Coudray-macouard departement de maine et loire; morte avant sa
naissance, fille du sieur Louis Gaspard Falloux, propriétaire et
de Dame Marie Eulalie Boureau de la guesserie, son epouse
domiciliés de la commune de Charcé, susdit département; premier témoin
monsieur françois chapuy, docteur en médecine, âge de quarante trois
ans, cousin par alliance de la mere de l’enfant, deuxieme témoin monsieur
Michel-Jacques Toché Docteur en chirurgie âgé de trente sept ans
présents à l’accouchement, demeurants ville de Saumur, sur la declaration
à moi faite par le dit sieur falloux, pere du dit enfant, et ont tous
signé avec moi après lecture de ce enquis

En 1809, Paul Falloux devient maire de Charcé, prenant la suite de son père, qui s’installe définitivement à Saumur.

Le couple partage sa résidence entre Charcé, à la Pontonnière, et Saumur, où le 4 aout 1819, Marie Eulalie met au monde un garçon, Jean Louis Henry.

Rue du Temple à Saumur – Image Googlemaps

C’est donc une épouse, mère d’un jeune garçon, ayant connu la douleur de perdre dans des circonstances difficiles son premier né, qui lit vers 1832 « Physiologie du mariage », paru en 1828. Qu’a t’elle lu dans cet ouvrage pour prendre ainsi la plume et s’adresser directement, dans une missive de presque 4 pages, à son auteur? Etait elle coutumière du fait, avait elle envoyé d’autres lettres à d’autres auteurs, qui ne sont pas parvenues jusqu’à nous ? Visiblement, elle savait et aimait écrire, et j’imagine qu’elle tenait une correspondance plus ou moins régulière avec sa soeur, peut être avec d’autres relations …. Tout ceci a probablement disparu, il ne reste d’elle qu’une lettre, écrite en 1833 à Honoré de Balzac, où on peut lire à travers les remarques faites à l’auteur une vie marquée par les chagrins et pourtant par l’espoir, une image du couple qui nous semble loin de nos conceptions actuelles.

1833, c’est la dernière période d’accalmie pour Marie Eulalie.

Le 9 mars 1834, son seul enfant, Jean, décède à l’age de 14 ans.

Le 18 juillet 1849, Paul Falloux de Chateaufort meurt à Charcé, sans postérité. Sa lignée s’éteint avec lui. Marie Eulalie lui survit jusqu’en 1857. Elle décède à 66 ans, le 24 mars 1857, à la Pontonnière, à Charcé. En octobre 2017, la lettre qu’elle écrivit un jour à Honoré de Balzac sera publiée dans le Tome 3 de la correspondance de Balzac aux éditions La Pleiade.

Voir en plein écran

Sources et liens
  • Gallica – Dictionnaire historique et généalogique des familles du Poitou. Tome troisième, Dabadie-Gautreau (Seconde éd. entièrement refondue, considérablement augmentée et publiée par H. Beauchet-Filleau et Paul Beauchet-Filleau avec le concours des RR. PP. H. et G. Beauchet-Filleau,… et la collaboration pour la partie héraldique de M. Maurice de Gouttepagnon) / par M. H. Beauchet-Filleau…
  • Archives du Maine et Loire – NMD Le Coudray 1793-anIV
  • Archives du Maine et Loire – BMS Saumur ND Nantilly 1783-1792
  • Archives du Maine et Loire – Mariages Saumur 1807-1811
  • Archives du Maine et Loire – NMD Le Coudray an IX-1812
  • Archives du Maine et Loire – NMD Charcé 1840-1860
  • Archives du Maine et Loire – Naissances Saumur 1817-1819

 


3 réponses à “A la recherche d’une lectrice de Balzac”

  1. Superbe. C’est une telle chance lorsque les actes sont détaillés. Ils nous rendent un peu plus proche de nos aïeux.

  2. C’est une très belle enquête qui a dû être passionnante à mener 🙂

Répondre à LaDrolesse Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.


Continuez votre lecture

À propos de l’auteur :

Actualité

Mes services

Parlons ADN

Catégories

Rechercher

Archives

Membre de

Hébergement

Ce blog est hébergé depuis 2012 chez Infomaniak. Utilisez ce lien pour héberger vos blogs ou votre cloud sur leurs serveurs


Testez
MyHeritage

Abonnez-vous
au blog

Ne ratez plus nos mises à jour, inscrivez vous et vous recevrez un mail par semaine reprenant les derniers articles publiés sur le blog

Nous ne spammons pas ! Consultez notre politique de confidentialité pour plus d’informations.