K comme Karcher

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 7 minutes




Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches


Denise Karcher est la sœur ainée de Christiane Karcher, la sosa 5 de mes enfants, la mère de mon mari. Mon mari n’a jamais connu sa tante, la seule qu’il ait eue, que ce soit du côté paternel ou maternel. La légende familiale – ce qu’on lui avait dit quand il était plus jeune – c’est que Denise était partie de la maison quand elle avait eu 18 ans ou 21 ans, alors que sa sœur Christiane était encore une toute petite fille.

Une tante perdue de vue depuis bien avant la 2nde guerre mondiale, voilà une histoire qui m’a très vite intéressée. Mais retrouver la trace de Denise, tout au long de sa vie, m’a pris beaucoup de temps. Aussi longtemps que les archives de Paris n’avaient pas mis en ligne les registres disponibles du 20è siècle, je n’ai pas vraiment pu avancer.

Voici l’histoire de Denise, racontée à travers les actes la concernant.

Dans le livret de famille des Karcher, j’avais lu que Denise était née le 30 juillet 1921 à Paris. Ses parents, Daniel Karcher et Marie Jeanne Dabzat, s’étaient mariés le 4 novembre 1920. Pour moi, Denise était juste arrivée un peu en avance. Je n’avais pas pu obtenir l’acte de naissance auprès de la mairie du 8ème. Ils n’avaient pas de Denise Karcher née le 30 juillet 1921 à Paris …

En regardant de plus près, des années plus tard, le livret de famille, j’ai constaté que la date avait été corrigée avec beaucoup de minutie. Ce que je lisais comme un 2 dans l’année 1921 était en fait un 1, pour l’année 1911. Toute l’histoire changeait de perspective.

C’est en effet le 30 juillet 1911, à 1h45 du matin, qu’est née au 208 rue du faubourg Saint Honoré Denise Dabzac, fille de Marguerite Marie Jeanne Dabzac, 21 ans, lingère, domiciliée 55 avenue des Ternes à Paris, et de père inconnu.

Ce n’est pas l’acte que je m’attendais à lire.

Passons sur l’erreur d’orthographe du patronyme de Marie Jeanne, qui est en fait Dabzat – avec un T final – mais se retrouve fréquemment écrit avec un C final.

Le bébé est né au 208 faubourg Saint Honoré dans le 8ème, et pas au domicile de la maman, avenue des Ternes. A cette adresse se trouvait l’hôtel puis l’hôpital Beaujon jusqu’en 1935.

En 1784 est fondé faubourg du Roule un établissement nommé hospice Saint-Nicolas, destiné à recevoir et instruire une vingtaine d’orphelins de la paroisse de Saint Philippe-du-Roule. L’établissement est rapidement connu comme hospice Beaujon ou maison Beaujon en reconnaissance du généreux fondateur, le financier Nicolas Beaujon. L’hospice conserve peu de temps sa destination d’origine puisqu’en 1795 il est transformé en service hospitalier appelé hôpital du Roule. En 1803, il devient hôpital Beaujon.

Beaujon augmente peu à peu sa capacité d’accueil de malades, de 122 lits en 1810 jusqu’à près de 700 lits en 1935. Jugé alors trop vétuste, il est désaffecté en janvier 1937 et ses services sont transférés à Clichy, au nouvel hôpital Beaujon. – source Gallica

Aujourd’hui, l’hopital Beaujon a déménagé à Clichy-sous-Bois, et un commissariat et des services municipaux occupent le bâtiment.

L’hôpital Beaujon vers 1900 – Gallica

Second point important, Denise est une enfant naturelle, d’une lingère de 21 ans et d’un père inconnu.

Les mentions marginales de l’acte de naissance établissent que Denise a été reconnue en vue de légitimation par Jean Jacques Louis Daniel Karcher et Jeanne Dabzat, le 27 octobre 1920. Le 4 novembre 1920, la petite fille, qui est dans sa 10ème année, est légitimée par le mariage de ses parents, auquel elle assiste peut-être.

Il est plus que probable que Denise vit depuis longtemps – peut-être depuis sa naissance – avec ses deux parents. Au début de la 1ere guerre mondiale, Daniel Karcher, en voyage d’affaires en Angleterre, avait envoyé une lettre explicite à Jeanne, qui indiquait que le couple vivait ensemble.

Après la fin de la guerre, et la pandémie de grippe espagnole, pendant laquelle Jeanne Dabzat a été très gravement malade, la famille s’installe quelques mois à Saint-Cloud, dans la villa Beausoleil, pour que Jeanne profite du bon air de la petite ville. Nous avons quelques très mauvaises photos de cette époque, à peu près inexploitables, car découpées pour en retirer certaines personnes – dont probablement Denise. Habitant à Saint-Cloud depuis plus de dix ans, j’ai plusieurs fois cherché à localiser la villa Beausoleil, dont le nom a été transmis oralement, sans aucun document. Je ne l’ai pas encore trouvée.

Le 4 novembre 1920, Denise est légitimée par le mariage de ses parents. Bizarrement, sur l’acte de mariage, Jeanne est dit habiter 30 rue du Printemps, dans le 9ème, pendant que Daniel habiterait au 79 rue d’Amsterdam.

Le 13 février 1928, Daniel Karcher, 52 ans seulement, décède à l’hôpital Necker. Selon son acte de décès, la famille habite au 82 avenue Emile Zola, dans le 15è arrondissement.

GoogleStreet – 82 avenue Emile Zola, Paris

Ses deux filles sont mineures : Denise a 17 ans, Christiane 2 ans seulement. J’ai passé des heures à faire des recherches aux archives de Paris, pour trouver une déclaration de succession, un avis d’un juge des tutelles, ou un conseil de famille, sans rien trouver pour l’instant. Daniel Karcher est de nationalité suisse au moment de son décès. J’ignore si cela a une conséquence au niveau de sa succession et de ses filles, s’il faut chercher ailleurs, à l’ambassade de Suisse peut-être ? Mais en l’absence de document, j’imagine que Jeanne Dabzat est la seule à avoir gardé la main sur la succession de son mari, et sur le patrimoine qui a été sauvé malgré les nombreuses mauvaises affaires faites par Daniel durant sa vie.

D’après la légende familiale – dont l’origine était Jeanne Dabzat, la mère de famille – Denise a quitté le domicile familial, sans laisser d’adresse, vers 21 ans, dès qu’elle a été majeure. Il est donc normal que je la trouve vivant avec sa mère et sa soeur au 82 avenue Emile Zola lors du recensement de 1931. Elle a 20 ans, et elle occupe un emploi de sténo dactylo.

AM Paris – Recensement 1931 Paris 15 Grenelle – D2M8 425 – vue 222/489

Il est en revanche plus étrange que Denise vive toujours avec sa mère et sa soeur au domicile familial lors du recensement de 1936. D’après ce que mon mari avait compris, ce que sa grand mère lui avait raconté, Denise serait partie vers 21 ans, donc vers 1932-1933. Pourtant, elle est toujours là en 1936. Plus étonnant encore, en 1936, Christiane a 15 ans, et elle devrait s’être souvenu de sa soeur, de façon claire. Pourquoi a t’elle laissé sa mère raconter une histoire différente ?

AM Paris – Recensement 1936 Paris 15 Grenelle – D2M8 628 – vue 15/254

Je n’ai aucun moyen de savoir quand Denise est vraiment partie du cocon familial, et pourquoi. Avant l’arrivée des allemands à Paris, en mai 1940, Jeanne Dabzat et Christiane sont parties se réfugier en Bretagne, à côté de Lamballe. Je pense que cette partie de l’histoire est exacte et que Denise ne faisait plus partie du tableau. J’imagine que c’est un problème d’argent, de succession du père, qui a pu faire partir Denise, par exemple si sa mère n’a pas voulu lui donner la part d’héritage qui lui revenait. Mais ce ne sont que des spéculations.

Qu’est il arrivé à Denise pendant les presque 30 ans entre le recensement de 1936 et son mariage, dont j’avais trouvé la trace dans les mentions marginales de son acte de naissance? Je n’ai aucun élément pour le savoir.

Mentions marginales – Acte de naissance de Denise Dabzac

En préparant cet article, je ne remets pas la main sur l’acte de décès de Denise, que je me souviens avoir demandé et reçu. J’y avais lu qu’elle était veuve du dénommé Jean Louis Fizaine, et j’avais regretté qu’il n’y ait aucune date me permettant d’en savoir plus sur lui …..

En 2002, quand Denise est morte, Christiane, ma belle-mère, était toujours vivante. Elle pensait que sa grande sœur était probablement morte, depuis longtemps, et je sais qu’elle aurait aimé reprendre contact avec elle. Et peut-être Denise aurait elle aimé savoir qu’elle avait deux petits neveux … Qui sait.

Je constate aussi en mention marginale de l’acte de naissance une mention de répertoire civil, qui laisse penser que sur la fin de sa vie, Denise a été mise sous curatelle ou sous tutelle. Une piste qu’il faudrait aussi que je suive.

Je suis passée par un généalogiste professionnel pour obtenir l’acte de mariage de Jean Louis Fizaine et Denise Karcher, mariés à Paris, dans le 15è arrondissement, le 3 avril 1965. Denise est alors âgée de 53 ans, et comme elle est veuve au moment de son décès, j’avais imaginé qu’elle avait épousé un jeune retraité.

Et bien non …

Voici la transcription de leur acte de mariage.

Le trois avril mil neuf cent soixante-cinq, dix heures quatorze minutes, devant Nous ont comparu publiquement en la maison commune : Jean-Louis Fizaine, ouvrier spécialisé, né à Clamart (Seine), le vingt-sept avril mil neuf cent trente-quatre, domicilié à Clamart (Seine), 15, rue Lacombe, fils de Jules Victor FIZAINE, retraité, et de Alice THEBAULT, son épouse, sans profession, domiciliés à Clamart (Seine), 15 rue Lacombe. Et Denise KARCHER, sténo-dactylographe, née à Paris huitième arrondissement, le trente juillet mil neuf cent onze, domiciliée 18 rue Eugène Gibez, fille de Jean Jacques Louis Daniel KARCHER, et de Jeanne DABZAT, époux décédés. Sur notre interpellation, les futurs époux déclarent qu’il n’a pas été fait de contrat de mariage; ils ont déclarés l’un après l’autre vouloir se prendre pour époux et nous avons prononcé au nom de la loi qu’ils sont unis par le mariage.

Que d’informations dans cet acte.

  • Denise, 53 ans, épouse un jeune homme de 30 ans …. Comment interpréter ce fait ? S’agit il d’une histoire d’amour? Pour quelle autre raison un jeune homme de 30 ans épouserait il une femme sans fortune spécifique, sténo dactylo, de 50 ans? Quel dommage de ne pas pouvoir en savoir plus …
  • En juillet 1965, Denise habitait le 15ème arrondissement, rue Eugène Gibez. Cette rue fait partie du quartier St Lambert. En 1965, c’est dans le quartier St Lambert qu’habitait Christiane et son fils, mon mari. Les deux soeurs habitaient dans le même quartier, à quelques rues probablement l’une de l’autre. Et leur mère, Jeanne Dabzat, habitait encore avenue Emile Zola, quartier Grenelle, juste à côté. Il me semble tellement improbable que ces trois femmes ne se soient jamais croisées, jamais reconnues dans une rue ….
  • Dans l’acte de mariage, il est indiqué que les parents de Denise sont décédés …… sauf que Jeanne Dabzat est décédée 22 ans plus tard, le 7 février 1985, à l’hôpital de Versailles. Et je n’ai aucun doute sur ce fait, j’ai connu Jeanne Dabzat à la fin de sa vie, j’étais présente à ses obsèques en tout petit comité dans la chapelle de l’hôpital de Versailles, à son inhumation au cimetière du Vésinet. Comment l’acte peut il indiquer ce décès ? Comment Denise a t’elle eu des documents d’état civil indiquant que sa mère était décédée? D’autant que cette mère vivait justement dans l’arrondissement où le mariage a été célébré ?

Quoiqu’il en soit, Denise Karcher, 53 ans, vient d’épouser Jean Louis Fizaine, 30 ans. Le couple habite au 18 rue Eugène Gibez, l’adresse indiquée par Denise pour son mariage. Jean Louis Fizaine n’a que 35 ans quand il décède le 14 septembre 1969 à l’hôpital de Vaugirard. Le mariage de Denise a duré quatre ans, et elle est désormais veuve.

En 1973 la succession de Jean-Louis Fizaine est réglée. Ses héritiers sont son épouse, qui habite à Antony, son frère Maurice, son neveu et sa nièce. Je n’ai pas encore réussi à localiser les neveux de Jean-Louis Fizaine, qui ont probablement connu Denise, et ont peut-être des photographies d’elle.

Denise Karcher décède à 90 ans, le 14 juillet 2002. Cet été là, Christiane était à Erquy, où elle aimait passer l’été. Et mon mari, mes enfants et moi étions en vacances dans les Landes. Personne n’a su que Denise, la sœur ainée de Christiane, venait de mourir à l’hôpital.

Archives familiales – juillet 2002

Cet article est une nouvelle fois une forme de bouteille à la mer. Si les neveux de Jean-Louis Fizaine voient cet article, un jour, qu’ils me contactent pour me raconter Denise, telle qu’ils l’ont connue

Sources et liens


4 réponses à “K comme Karcher”

  1. Bonjour Madame, j’ai beaucoup aimé cet article, tout à fait exemplaire de la généalogie que j’aime. Je ne puis malheureusement répondre à votre « bouteille à la mer », seulement apporter une petite précision que je ne suis pas sûr de pouvoir interpréter. En faisant des recherches sur la famille (Stoullig) de ma 1ère épouse, j’ai appris que Charles Stoullig avait été le témoin de mariage de Jean Jacques Karcher et que symétriquement Jean Jacques Karcher avait été le sien lors de son remariage avec Virginie Müh (page 26/31 acte n° 2601). Vous vous étonnez de l’adresse donnée par la future Mme Karcher, 30 rue de Provence. Or c’est l’adresse de célibataire de Virginie Müh. Les 2 femmes ont le même âge, 31 ans. Ce ne peut-être une coïncidence. Une autre coïncidence, dont je ne puis apprécier la pertinence : le cousin de Charles Stoullig, Michel Stoullig, était passementier, (spécialisé dans les rubans et autres ornements pour chapeaux de femme) alors que les Karcher fabriquaient des rubans. Enfant Michel Stoullig avait une bonne alsacienne (dont je ne sais rien si ce n’est qu’il tenait d’elle un conte entendu dans son enfance et publié en 1885). La famille Stoullig d’origine mosellane n’avait aucun lien avéré avec l’Alsace.
    Pardon pour ce long commentaire. Bien cordialement

    1. Brigitte

      Bonjour et merci beaucoup pour votre commentaire. En effet j’avais noté les actes parallèles de mariage de Charles Stoullig et de Jean Jacques Karcher. J’ai fait des recherches sur l’adresse indiquée aux archives de Paris, mais sans trouver de relevé des locataires à cet endroit. Il faudrait peut-être que je fouille un peu la piste de Charles et de Virginie
      En tout cas, merci pour votre commentaire

  2. Oh, mais quelle histoire extraordinaire et terriblement triste ! La brouille dans les familles, c’est tellement du gâchis que tu aurais pu réparer, si seulement on t’en avait parlé …

  3. Je souhaite que ta bouteille à la mer soit trouvée par quelqu’un qui saura te renseigner. Il y a beaucoup de mystères dans cette histoire…

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