I comme Isly

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 6 minutes




Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches


C’est à Alger au début du 20è siècle que je vous emmène aujourd’hui. Nous allons y rencontrer la famille de Désiré Antoine Ernest Vialar, le plus jeune des oncles maternels de ma grand mère Marcelle Risse, le fils de Séverin Charles Vialar et de Rose Marie Elisabeth Pons.

Quelques éléments biographiques sur Désiré Antoine Ernest Vialar

Désiré nait le 27 septembre 1872 à Bougie. Il est le dernier enfant de Séverin Charles Vialar, 49 ans à sa naissance, et Rose Marie Elisabeth Pons, 35 ans. Il n’a pas encore deux ans quand sa mère est envoyée en métropole pour être internée en hôpital psychiatrique à Aix-en-Provence. Il ne la reverra jamais.

Vers 1880, le père de famille, Séverin, quitte avec ses trois plus jeunes enfants, Elise, Marie Philippine et Désiré, la région de Bougie pour s’installer à Alger. Il meurt à l’hôpital militaire à Alger le 27 décembre 1889.

Deux ans plus tôt, le 10 septembre 1889, Elise a épousé à Mustapha Victor Adolphe Héroult, boulanger. Le jeune Désiré va apprendre le métier de boulanger avec son beau-frère.

Vers 1896, il rencontre Anne Elisabeth Mauran, veuve de Jean Cassagnères, avec lequel elle a eu cinq fils, dont trois au moins sont vivants au décès de son mari, le 13 août 1895 à Mustapha. La jeune veuve va bientôt vivre avec le boulanger, de quatorze ans plus jeune qu’elle. Ensemble, ils ont deux fils, Désiré Paul Jules Vialar, né le 19 novembre 1897 à Mustapha, et Alexandre Adolphe Charles Vialar, né le 14 novembre 1903 à Hussein Dey. Désiré et Alexandre sont les cousins germains de ma grand mère Marcelle. Jules Aimé Noel Cassagnères, Paul Louis Didier Cassagnères et Jean Lucien Cassagnères sont leurs demi-frères.

Schéma familial

Désiré Vialar meurt le 6 décembre 1937 à Douera, à l’âge de 65 ans.

L’incident de la rue d’Isly

Le soir du 11 novembre 1913, Gaston Fontaneau, « jeune homme d’une vingtaine d’années« , résidant habituellement à El Biar, est de passage à Alger. Il y rencontre vers 21h, à la terrasse d’un bar de la rue d’Isly, un de ses amis, Paul Cassagnères, 26 ans, beau fils de Désiré Vialar. Les deux jeunes gens sont attablés – probablement devant un verre d’anisette, la boisson locale – quand Paul s’éloigne un moment, pour « aller acheter une bougie dans une épicerie voisine« .

C’est alors que quatre individus s’approchent de Gaston Fontaneau et s’en prennent à lui, lui reprochant de faire partie de la bande de Pappalardo. Gaston appelle son ami Paul à l’aide, mais les quatre « malandrins » , qu’on identifiera comme la bande de Gory, déchargent sur lui leurs revolvers Browning et s’enfuient.

Un agent de police à proximité, l’agent Alingrin, prend un des agresseurs en chasse et réussit à le rattraper.

Gaston n’est heureusement pas trop gravement blessé, et va pouvoir avec son ami Paul – le demi-frère des cousins germains de ma grand-mère – reconnaître les individus qui l’ont agressé.

Vous pouvez lire le récit de ce fait divers sur Gallica – les éléments que j’ai directement repris de l’article sont en italique.

Les Apaches d’Alger

J’ai voulu en savoir plus sur ces « malandrins », ces « apaches », selon le terme fréquent à l’époque. Qui sont Gory et Pappalardo, les chefs de gangs qui se promènent dans Alger en 1913?

Mais tout d’abord, savez vous qui sont ces Apaches qui sévissent dans Paris au début du 20ème siècle ? Il s’agit de bandes de jeunes délinquants, issus des faubourgs de la Villette, des Gobelins, de Charonne, de Belleville, des voyoux qui volent, cherchent l’affrontement avec la police, et s’organisent en bande, avec une hiérarchie précise et un chef. L’analogie avec les gangs actuels dans les banlieues en Europe ou aux Etats Unis est claire.

Le phénomène des Apaches n’est pas réservé à Paris, des bandes de jeunes voyous se sont aussi formées à Alger, autour de Bab-el-Oued, dans ces quartiers européens où les origines des populations sont très mélangées, et où le phénomène du clan est très présent.

Dans l’affaire dont je vous parle, tout commence semble-t’il par une fusillade le 1er décembre 1912, place du Gouvernement. A la terrasse du Bar du Succès, un homme tire sur deux consommateurs et touche par ricochet un jeune apprenti qui passait là.

L’Echo d’Alger du 02/12/1912

Une des victimes meurt quasiment sur place. Les témoins pensent avoir reconnu le tireur, un certain Antoine Pappalardo, qu’on arrête même s’il clame son innocence.

L’Echo d’Alger 02/12/1912

Dans le journal du 3 décembre, l’affaire occupe encore une colonne. On apprend qu’Antoine Pappalardo a été relâché. Mais l’enquête continue, et le lendemain 4 décembre, l’Echo d’Alger peut annoncer qu’on a arrêté le meurtrier, un certain Baptiste Font, dit « Z’yeux bleus ». Di Meglio, la victime, et Font ont déjà eu maille à partir.

L’Echo d’Alger du 8/12/1912

Mais voici que le 4 décembre, l’affaire rebondit. Antoine Pappalardo est attaqué par deux frères, Eugène Gory et Alphonse Gory, qui l’accusent d’avoir manqué de respect à la femme d’Eugène, et tirent dans le dos de Pappalardo, sans le blesser. Cette agression a t’elle quelque chose à voir avec le crime précédent ?

En tout cas, c’est l’origine de l’animosité entre la bande de Pappalardo et celle de Gory, dont Paul Cassagnères a failli être victime quelques mois plus tard.

L’Echo d’Alger du 05/12/1912

Les deux frères Gory sont condamnés à 6 mois de prison, qu’ils purgent à la prison de Barberousse. Mais ils en veulent à Pappardalo qui les a dénoncés.

En prison, ils racontent leur déboire à un certain Albert Bendinelli, âgé de 23 ans, serrurier. Et ils le persuadent d’aller prévenir Pappardalo de se tenir sur ses gardes … Pappardalo se met en colère, s’en prend au messager et lui tire dessus. Il est à son tour arrêté.

L’Echo d’Alger 02/03/1913

Les rixes se poursuivent, les bandes sont arrêtées, convoquées devant le juge d’instruction, écrouées ….

L’Echo d’Alger 03/04/1913

C’est dans cette atmosphère de conflit permanent que, par erreur, le pauvre Gaston Fontaneau, qui ne faisait que prendre un verre avec son ami Paul Cassagnères, a été blessé.

En janvier 1914, Eugène Gory et ses acolytes sont jugés devant le Tribunal Correctionnel pour cette affaire, et aussi pour le motif de « vagabondage spécial », une première pour le tribunal à Alger.

L’Echo d’Alger 03/01/1914

Les sanctions tombent : Eugène Gory est acquitté du chef de coups et blessures, mais il est condamné pour vagabondage spécial, comme souteneur, à 6 mois de prison, 100 francs d’amende et 5 ans d’interdiction de séjour.

Il fait appel quelques courtes semaines plus tard, mais la condamnation est confirmée.

Les fiches matricules des deux frères Gory/Gorry, sur le site des Archives Nationales d’Outre Mer, racontent une histoire identique.

Eugène, né à Bouïnan, dans le département d’Alger, le 19 avril 1890, appartient à la classe 1910. Sa première condamnation, pour vol, remonte au 22 décembre 1905, alors qu’il n’a pas encore 16 ans. Puis c’est une condamnation pour pêche à la dynamite, pour coups et port d’arme. Eugène part ensuite à Paris où il est condamné le 25 aout 1908 pour port d’armes prohibé. Dès son retour à Alger, début octobre 1908, il est devant le tribunal pour infraction à la police des chemins de fer. En Aout 1909, c’est à Tarascon qu’il est condamné, à nouveau pour avoir voyagé sans billet. Il retourne à Paris en 1910, où il purge 4 mois de prison pour vol.

Il est en détention au moment de l’appel de sa classe, le 3 octobre 1911, et il est envoyé le 20 février 1912 au 1er Bataillon d’Infanterie légère d’Afrique, un régiment disciplinaire. Il est rapidement réformé pour tuberculose pulmonaire, retourne à Alger et y vit du travail de ses bonnes amies.

Condamné à 3 ans de prison par la cour d’appel d’Alger le 19 mars 1914, il est en prison quand la guerre éclate.

Si certains mauvais garçons ont trouvé une sorte de rédemption pendant la 1ère guerre mondiale, ce n’est pas le cas d’Eugène. Il reste semble t’il réformé, sans que sa fiche matricule soit vraiment claire, mais dès janvier 1918, il est a nouveau condamné, par le tribunal de Marseille cette fois, pour coups et blessures. Il est interdit de séjour mais ne respecte pas son interdiction, ce qui le ramène devant le tribunal de la Seine cette fois en novembre 1919. Il ne respecte visiblement pas les interdictions de séjour à ses sorties de prison et toute sa vie se déroule entre deux séjours en prison, un peu partout sur le territoire français.

On le retrouve également dans les journaux parisiens, quand il sévit à Paris sous le pseudonyme de « Jojo de Montmartre ».

Gallica – L’homme libre – 27/05/1925

Connu pour être pourvoyeur de maisons closes, il est également condamné à Toulouse.

Retroneuws – La Dépêche – 20/06/1928

Le 15 mars 1940, il habite rue Montsouris à Paris. C’est la dernière mention indiquée sur sa fiche matricule. J’ignore où et quand il est mort, s’il s’est marié – j’en doute – s’il a eu des enfants « officiels ».

Son jeune frère Alphonse Gorry, classe 1914, matricule 853, est né à Boufarik le 8 décembre 1893. Comme son frère, il est en prison quand sa classe est appelée, le 25 novembre 1913. A sa libération, le 5 juin 1914, il est incorporé au 1er Bataillon d’Afrique. Il participe à la 1ère guerre mondiale au Maroc, jusqu’en janvier 1918, quand il déserte et part à Marseille, où il est arrêté comme déserteur. Il passe quelques mois en détention, avant de retourner finir sa période militaire jusqu’au 7 septembre 1919.

Il s’installe alors à Paris, où il est plusieurs fois condamné, comme son frère ainé, pour proxénétisme et port d’arme prohibé.

Atteint de tuberculose, il meurt le 19 juillet 1930 à Paris, au domicile qu’il partage avec sa mère, Thérèse Seliez, rue de Montsouris. Officiellement, il est cafetier et célibataire.

Trouver des informations dans les journaux en ligne pour les deux frères Gorry a été particulièrement simple. Si vous voulez trouver des anecdotes sur vos ancêtres, concentrez vous sur les mauvais garçons ….

Sources et liens


Une réponse à “I comme Isly”

  1. Voilà une histoire qui mérite d’être racontée, d’autant qu’elle est en lien avec tes cousins.
    C’est toujours époustouflant de voir la quantité de documents que l’on peut trouver lorsqu’on cherche.

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