Faire de la généalogie, ça sert à quoi, en vrai ?
Les médias nous expliquent régulièrement que les Français sont toujours plus nombreux à se lancer sur la piste de leurs ancêtres, à la recherche de leurs racines, de leurs origines …. de leur parenté avec Louis XII, Charlemagne, ou Guillaume de Normandie.
Pourtant, vous qui faites de la généalogie, vous savez que ce ne sont pas les collections de noms et de dates, les ancêtres prestigieux ou lointains qui nous enchantent vraiment et nous poussent à continuer, encore et toujours, à explorer nos racines. Ce que nous cherchons, c’est l’anecdote, l’émotion, cette connaissance plus intime que nous allons avoir de ceux qui nous ont précédés, toutes ces choses qu’on ne va pas trouver dans des archives, toutes ces choses qui font la vie d’un individu, d’une famille, sa véritable identité. Mais alors que nous nous usons souvent les yeux sur de vieux grimoires mis en ligne par des archives partout en France, avons nous pris le temps de réunir et de pérenniser tout ce qui n’est pas écrit dans des textes plus ou moins officiels ? Avons nous pris le temps de noter tous les souvenirs que nous avons de nos parents, de nos grands parents, de nos arrières grands parents, quand nous les avons connus? Avons nous rassemblé les histoires que nous racontait notre grand mère sur ses grands parents à elle ? Avons nous fait notre devoir de mémoire personnelle et familiale?
C’est à travers deux récentes productions d’Archives et Culture que je me propose de mettre en avant ce rôle de passeur de souvenirs : l’ouvrage « Lucienne », paru début octobre, et la pièce de théâtre « La voleuse de souvenirs », dont la première a eu lieu le 12 octobre à Paris.
Lucienne
Les éditions Archives et Culture ont lancé à l’occasion du Salon de généalogie de la mairie du XVe arrondissement trois prix littéraires, pour récompenser les ouvrages autour de la généalogie. C’est Yann Boulanger, pour son livre « Lucienne », qui a obtenu le prix 2018 dans la catégorie Souvenirs familiaux.
J’ai eu la chance de lire ce livre, attirée par cette histoire d’une femme qui avait vécu des événements exceptionnels : épouse d’un allemand pendant la première guerre mondiale, résistante en Bretagne pendant la suivante …. Mais à la place de la biographie d’une femme retraçant de façon quasi historique les étapes de sa longue vie, j’ai fait la connaissance de Lucienne, au-delà d’une simple ligne de vie un peu étoffée. Je n’ai pas lu un récit généalogique, j’ai suivi Lucienne à travers certaines étapes de sa vie, j’ai découvert autour d’elle ses lieux de vie, sa famille, ses amis. J’ai vu, sous la plume de Yann Boulanger, une petite Bretonne toute simple se battre pour son éducation, à l’époque où le destin d’une fille n’était que dans le mariage. Je l’ai vue choisir toujours la voie la plus difficile, la plus exigeante, pour elle comme pour ceux qui l’entourent.
Dès les premières pages, j’ai été happée par cette histoire, et comme on tourne les pages d’un vieil album de photos, ou plutôt comme une grand tante aimée tourne les pages de son album personnel, mêlant photographies et cartes postales, et vous raconte sa vie, ces petits instants qui deviennent des souvenirs à transmettre, j’ai lu ce livre presque d’une traite, ne le posant que pour vaquer à mes occupations indispensables.
Avec pudeur et tendresse, Yann Boulanger évoque Lucienne, une des sœurs aînées de son grand père, cette grand tante qu’il a connue, et avec elles ses arrières grands parents, son grand père, la maison familiale de sa grand mère, Rennes et Vannes, et puis à travers l’étonnant voyage de la jeune Lucienne vers la Prusse, l’Allemagne sous le deuxième Reich, la vie de jeune épousée à Francfort, le quotidien des débuts de la République de Weimar. Le récit n’est pas historique, rien ou presque n’est dit des événements historiques majeurs qui ont rythmé la vie de Lucienne. Tout est du domaine du vécu de cette femme, jeune, puis moins jeune, mais toujours avec beaucoup de pudeur.
La fuite de Lucienne vers la France, quittant une Allemagne en crise et un mari devenu doublement étranger, la mort bien plus tard de son fils unique, ces événements qui auraient pu être traités comme des moments dramatiques forts du livre, sont à peine évoqués. Jamais on a le sentiment en lisant ce livre de souvenirs de devenir voyeur d’une histoire qui n’est pas la nôtre. C’est un rôle d’accompagnateur, de complice, de confident, que nous offre Yann Boulanger pendant le voyage de Lucienne d’un bout à l’autre de sa vie.
Ne réservez pas ce livre à vos seuls amis généalogistes, lisez le, offrez le, parlez en aux jeunes filles qui vous entourent, et qui ne savent pas que la liberté de choix qui leur semble naturelle, leurs arrières grands tantes ont dû se battre en silence, avec détermination et courage, pour la leur offrir. Le voyage de vie de Lucienne en est un merveilleux exemple, ne boudez pas votre plaisir.
La voleuse de souvenirs
Vous connaissez forcément Mathilde si vous suivez quelques groupes de généalogie sur les réseaux sociaux. Mais si, c’est elle qui nous présente toutes les semaines les videos d’Archives et Culture.
Ah, vous voyez, vous connaissez Mathilde … Avec sa maman, Marie-Odile Mergnac, mais seule en scène, Mathilde propose pendant encore dix semaines un spectacle sur la généalogie, et plus précisément sur les souvenirs de famille, ces souvenirs que nous allons perdre si nous ne les transmettons pas de génération en génération.
En 2014, à Rootstech, Judy Russel avait expliqué qu’un souvenir familial met moins de quatre générations à être perdu. Savez vous comment vos grands parents se sont rencontrés ? Savez vous si vos arrières grands parents savaient nager ? Et qui dans votre famille a été le premier à obtenir son permis de conduire ? Tout cela, vous ne le découvrirez pas dans les archives officielles. Si vous avez de la chance, un de vos ancêtres aura laissé un journal intime, mais seulement si vous avez de la chance, et un ancêtre sur combien ?
Mais si vous collectez les souvenirs de votre famille, et que vous les transmettez, peut-être dans 6 générations un de vos descendants racontera-t’il ces souvenirs devenus précieux, comme Mathilde le fait sur scène.
Mathilde dégage une énergie très sympathique et communicative. De tableau en tableau, rythmés par la musique et la danse, elle remonte les branches de son arbre et partage avec nous cette grand-mère qui passait ses examens universitaires pendant que la Normandie était libérée, cette arrière-grand-mère qui a refusé 17 prétendants, ou l’histoire de la tueuse de loups, à la génération 9. Avoir conservé le souvenir de cette femme du début du 19è siècle, née sous la Révolution, au delà de son nom, et de son portrait, ne me dites pas que vous n’êtes pas jaloux ?
Le spectacle est délicieux, chargé d’énergie positive, et peut-être vous donnera-t’il envie, comme à moi, d’enfin écrire les souvenirs que mon mari et moi avons de notre famille. Ma grand mère racontait que ….. nous l’avons tous dit un jour, mais si nous ne transmettons pas ce souvenir à nos petits enfants, comment le raconteront-ils eux mêmes à leurs descendants.
Les applications autour de la collecte de ces souvenirs sont nombreuses, personnellement je vais faire simple, écrire ou enregistrer un message audio, que je lierai ou pas à la personne concernée dans mon logiciel de généalogie. Je ne suis pas sûre de la méthode que je vais utiliser, mais ce sera probablement mon projet prioritaire pour 2019.
En attendant, je vous recommande chaudement d’aller voir Mathilde sur scène, vous passerez une heure délicieuse en début de soirée à faire la connaissance de ses ancêtres, et vous ressortirez avec le sourire.
Vous l’avez compris, j’ai passé hier soir une charmante soirée à regarder et écouter Mathilde, la « Voleuse de souvenirs ». J’espère que ce spectacle quittera l’année prochaine le petit théâtre parisien où il est actuellement présenté et ira agrémenter certaines conférences généalogiques en province. Ce serait dommage qu’une telle énergie ne soit pas partagée avec toute la communauté.
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