La possédée de Bab-El-Oued

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 5 minutes


Temps de lecture: 5 minutes

Tout a commencé par une recherche bien ordinaire sur Gallica, celle du décret de naturalisation de Jean Todeschini, le cousin germain de mon arrière-grand-père. Sur la première page des résultats dans la presse, j’ai découvert quatre liens vers un fait divers concernant un certain Todeschini, ferblantier à Alger. Un coup d’oeil rapide au premier article, dans l’Echo du merveilleux, et me voici à Cheragas, dans la banlieue d’Alger, où la jeune Thérèse, bonne chez Jean Todeschini, sème la consternation dans cette banlieue paisible.

Voici l’histoire

A Bab-el-oued, faubourg populaire d’Alger vit la famille de Gaspard Sellès. Sa femme et lui ont déjà huit enfants, en attendent un neuvième. Leur fille ainée, Thérèse, 14 ans, a passé quelque temps pour son instruction à l’ouvroir des soeurs de Bab-el-Oued. Maintenant, en ce 1er avril 1908, Gaspard Sellès place Thérèse comme bonne dans la famille de Jean Todeschini à Cheragas. Jean Todeschini est veuf depuis neuf ans, il a un atelier de ferblanterie, créé 13 ans plus tôt, et sa famille élargie : enfants, neveux, vit chez lui ou à proximité.

La première semaine, tout est calme, la jeune Thérèse travaille comme on l’attend d’elle. Mais le 9 avril au soir, des phénomènes étranges commencent. Ce sont tout d’abord des coups frappés à une porte qui donne sur une cour totalement close et inaccessible, et qui s’avère vide. Cela recommence le lendemain, puis encore le jour suivant. Les hommes de la famille ne s’en laissent pas conter, organisent une garde, préviennent les gendarmes que s’ils attrapent les vauriens qui leur jouent ce tour, ils leur feront passer l’envie de recommencer.

Et pourtant, malgré la garde, malgré le chien devant la porte, les coups continuent et le chien n’aboie pas. Une semaine plus tard, le 16 avril, la situation se complique. C’est tout d’abord le magasin, qui était pourtant vide et fermé, qui est mis sens dessus dessous, une fois, une seconde …. Puis des objets se déplacent dans la maison, dans les chambres, devant des témoins, appelés par le journal à témoigner, toujours cohérents et dignes de foi – du moins pour le journal, qui essaie d’être factuel.

Et voici que Thérèse commence à avoir des hallucinations. Une dame habillée de noir lui apparait, et lui parle, lui demande de veiller sur son mari et ses enfants. Jean Todeschini sort un album de photos de famille – et là mon coeur de généalogiste s’emballe – et demande à Thérèse si elle reconnait la dame. Et Thérèse désigne le portrait de Catherine Ricciardi, l’épouse de Jean, morte depuis neuf ans.

A Cheragas, l’histoire fait grand bruit. Le médecin appelé à la rescousse n’a plus qu’une proposition, faire ramener la petite Thérèse chez ses parents,  à Bab-El-Oued. Une fois Thérèse revenue à la maison, au bout de quelques jours, les hallucinations se calment, les objets ne bougent plus. Thérèse n’est plus en crise.

Poltergeist-Therese Selles
Magazine La Vie Mystérieuse de 1911 avec Therese en couverture du magazine
Malheureusement, les sources dont je dispose ne précisent pas s’il y a une fin à cette histoire. A t’on exorcisé la petite ? Je n’en suis pas sûre. Mais cette histoire ne m’étonne pas, le petit peuple de l’Algérois, mélange d’Italiens, d’Espagnols, et de Français, très accroché à une religion catholique fortement teintée de superstition, sans beaucoup d’instruction, hormis les bases, était le creuset parfait pour ce genre d’anecdote. Que cela se produise dans la maison du cousin germain de mon arrière grand père est beaucoup plus original pour moi.

 

Et les protagonistes de cette anecdote

 

Commençons par les membres de la famille de Jean Todeschini cités dans l’article de l’Echo du Merveilleux.

  • Jean Angelo Todeschini est le fils de François Todeschini – dont le nom sera ensuite francisé en Tudesque – et d’Anne Marie Marchese. C’est par Anne Marie Marchese qu’il est cousin germain avec mon arrière grand père François Risse, fils de Francesco Risso et de Marie Emmanuelle Marchese.  Jean Angelo est né le 19 novembre 1856 à l’hôpital civil de Mustapha. Il se marie le 26 septembre 1889 à Alger avec Catherine Ricciardi, 19 ans, fille de Dominique Ricciardi et d’Antonia Mesquida. L’acte de mariage stipule que c’est un « mariage italien », indiquant clairement que les deux époux sont encore à ce moment de nationalité italienne. Les Ricciardi viennent de la région de Naples, les Todeschini sont originaires de Brenta en Lombardie, les Marchese viennent de Gênes. Seule la famille de la mère de la mariée, les Mesquida, est espagnole, elle est originaire de Majorque, une autre grande source de peuplement de l’Algérie. Jean Angelo meurt à Cheragas le 19 septembre 1937, à l’âge de 80 ans.
  • Catherine Ricciardi, bien qu’elle soit déjà morte au moment de l’incident, est très présente dans cette histoire, puisqu’elle s’adresse à la jeune possédée, qui la reconnait dans les photos de famille ….. Catherine Ricciardi nait à Alger, au 3 rue Napoléon, le 3 avril 1870. Elle meurt jeune, à 29 ans, le 22 septembre 1899 à Alger, après avoir mis au monde au moins quatre enfants, trois filles et un fils.
  • Emilie Todeschini est la fille de Jean Angelo Todeschini et de son épouse Catherine Ricciardi. Née le 25 août 1892 à Alger, elle a 16 ans, soit à peu près l’âge de la jeune Thérèse, quand les faits se produisent. Elle épouse le 10 août 1918 à Cheragas Jean Barthelemy Ignacio Fedelich, natif de Birmandreis, avec lequel elle a au moins deux filles. Elle meurt le 10 août 1981 à Toulon, à l’âge de 88 ans.
  • Marie Antoinette Todeschini, fille ainée de Jean Angelo Todescini et de Catherine Ricciardi, épouse de Jean Dertie, le gendre mentionné dans les articles, est née le 10 octobre 1890 à Alger. Elle épouse à Cheragas le 18 janvier 1908, à l’âge de 17 ans, Jean Dertie, viticulteur né à Cheragas le 18 novembre 1883. Elle est donc une toute jeune mariée de trois mois quand les faits se produisent dans la maison de son père.
  • Antoine Faissel est le neveu – par alliance – de Jean Todeschini. Il est né le 27 août 1888 à Alger de Joseph Faissel et de son épouse, Rosine Ricciardi, une des trois soeurs ainées de Catherine Ricciardi. Il meurt le 27 août 1936 à Kolea.

La jeune Thérèse et sa famille

  • Gaspard Selles, le père de famille, est né le 18 janvier 1868 à Birmandreis. Tout d’abord jardinier, il travaille à partir de 1903 aux tramways algériens. Orphelin très jeune de père, il vit avec sa mère, Thérèse Pons, au moment de son mariage le 5 mai 1894 à Alger, à 26 ans, avec la jeune Marie Rose Martinez, 19 ans, dont la famille vient de la région de Valence en Espagne. Selon l’article que j’ai lu, il a 8 enfants au moment de cette affaire, et Thérèse est l’ainée. J’ai avec un peu de mal retrouvé la trace dans les actes et les registres matricules de 4 enfants probablement vivants en avril 1908, j’ai aussi trouvé l’acte de naissance de Georgette Selles, le 24 avril 1908, le bébé dont la mère de famille est dite très enceinte au moment des faits.
  • Thérèse Selles , la « medium », l’héroïne de toute cette histoire, reste pour l’instant un mystère en ce qui concerne son état civil. Selon l’article, en avril 1908, elle a 14 ans et 3 mois, ce qui donnerait une naissance courant janvier 1894, soit quelques semaines avant le mariage des parents. Le registre des naissances d’Alger ne contient qu’une petite partie des actes de l’année, et rien pour les mois de mars à mai. Si une enfant prénommée Thérèse, déclarée sous le patronyme de Selles ou de Martinez, y a été déclarée, je n’ai aucun moyen de la retrouver. De plus cette hypothèse me gêne, puisqu’il n’y a aucune légitimation d’enfant dans l’acte de mariage des parents. Alors, qu’en est-il de Thérèse ? Avouez qu’il est frustrant de ne pas en savoir plus sur cette jeune fille.

Cette année Gallica fête ses 20 ans d’existence, mais c’est le site qui continue à nous faire chaque jour de beaux cadeaux. Et vous, avez vous trouvé des anecdotes amusantes concernant votre famille élargie sur Gallica ?

Sources et liens
  • Gallica – Titre :  L’Écho du merveilleux : revue bimensuelle / directeur : Gaston Mery – Éditeur :  [s.n.] (Paris) – Date d’édition :  1908-05-15
  • Gallica – Titre :  Annales africaines : revue hebdomadaire de l’Afrique du Nord – Éditeur :  [Ernest Mallebay] (Alger) – Date d’édition :  1908-06-06
  • Gallica – Titre :  Le Progrès spirite : organe de la Fédération spirite universelle – Auteur :  Fédération spirite universelle (Paris). Auteur du texte – Edition Juin 1908
  • Gallica – Titre :  La Vie future. Revue psychologique de l’Afrique du Nord [« puis » : Revue mensuelle. Organe de la Société algérienne d’études psychiques] –Auteur :  Société algérienne d’études psychiques – Éditeur :  [s.n.?] (Alger) – Date d’édition :  1909-01
  • La vie mysterieuse – 1911 – Merci à @D_ORS_et_D_ARTS pour avoir trouvé le document
  • Alger-Roi – Les TA
  • Etat civil : Archives Nationales d’Outremer – Références exactes sur mon arbre en ligne sur Geneanet

 


2 réponses à “La possédée de Bab-El-Oued”

  1. Gallica est une ressource inépuisable ! Le récit est passionnant, dommage effectivement que l’on ne connaisse pas la fin. Peut-être en saurons-nous un peu plus sur Thérèse ?
    Sinon, ma maîtresse d’école de CP s’appelait Todeschini (c’était en Moselle). Y’a t’il un lien de parenté ?
    A bientôt

  2. Ce récit étonnant nous tient en haleine, mais l’enquête continue, j’espère.

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