E comme Edvige

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 8 minutes




Aucun thème précis pour cette nouvelle participation du blog au Challenge AZ initié par Sophie Boudarel, de la Gazette des ancêtres, juste une promenade à la rencontre de personnes ou d’anecdotes rencontrées au cours de mes recherches


L’histoire d’Edvige Colnay commence au soir du 16 octobre 1848 vers 20 heures, quand elle est déposée au tour de l’hôpital général de Poitiers. Le nourrisson vient d’y être abandonné. Edvige est la seule enfant trouvée, à ce jour, de la généalogie de mes enfants.

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Le tour de l’Hôtel-Dieu à Poitiers a été mis en place de 1792 à 1796, puis de 1811 à 1860. Sur le blog du CGP, la description du tour est précisée. « On ferait mettre un berceau tournant dans le mur de clôture de la cour de l’hôpital qui communiquerait au dehors où chacun pourrait y apporter les enfants nuitamment qu’on lèverait dès l’instant en avertissant par une sonnette qui serait posée à cette fin. » ( AD86 H Dépôt 115 Hôtel-Dieu, liasse 3 E 6 )

Un enfant du sexe féminin est ainsi déposé vers 20h le soir du 16 octobre 1848. Dans le registre des admissions de l’hôpital général, on lui donne le numéro de matricule 7353.

AD86 – 1648 W 92

N° 7353 Edvige Colnay enfant du sexe féminin exposée naissante à l’hospice des enfants trouvés de Poitiers le 16 8bre 1848 à 8 heures du soir, vetue d’une chemise en calicot sans garniture; une brassière indienne gdes raies viollettes et rouges deux langes bleus, un en étoffe l’autre en droguet un bonnet velours et soie noire et blanche un beguin de calicot; l’enfant avait un billet indiquant le nom de Delphine, Chez Chaprenet à Chez de l’âge Verrières le 19 8bre 1848

L’enfant est déclarée en mairie le lendemain matin 17 octobre, à onze heures, par une certaine Louise Elisabeth, préposée à l’hôpital. L’acte de naissance reprend la description mentionnée dans le registre de l’hospice.

Je découvre au fil de mes lectures que pour que les enfants abandonnés ne soient pas repris contre rétribution par l’assistance publique par leur mère, qui deviendrait nourrice payée, on leur donne fréquemment un nom et prénom différent du prénom qui a pu être accroché à leur linge. C’est ainsi que la petite Delphine devient Edvige Colnay et ne retrouvera jamais sa maman.

Le 19 octobre, on confie la petite Edvige à « Chaprenet, à Chez-de-l’age, Verrières ».

Verrières, c’est une petite commune au sud de Poitiers, vers Lussac-les-Chateaux. Dans la commune, un lieu-dit porte le nom de « Chez Delage ».

Je n’ai pas encore réussi à identifier ce couple Chaprenet vivant Chez Delage vers 1848 à Verrières. La jeune femme doit être nourrice, ayant récemment mis au monde un enfant, puisqu’elle prend en charge un nourisson supplémentaire.

Dès qu’Edvige est sevrée, le 16 mars 1849, on l’envoie dans la famille « Milget », à Chalandray. Etonnemment, le bébé survit encore.

La nouvelle famille d’Edvige, chez qui elle va rester jusqu’à l’adolescence, est la famille de Pierre Miljeu, journalier, bordier, et de Geneviève Guitton. Pierre est né juste avant la révolution, à Cramard, alors paroisse autonome. En 1816 il épouse à Vasles Geneviève Guitton, 20 ans. Ensemble, ils s’installent à Chalandray, dans le bourg, et ils ont quatre enfants entre 1818 et 1835.

Quand Edvige leur est confiée, ils habitent le lieu-dit La Binaudrie, avec leur fils Charles – ou Henri suivant les recensements – et leur fille Honorine. Pierre a une soixantaine d’années, Geneviève une cinquantaine. Bizarrement, la petite Edvige n’est inscrite dans aucun recensement à Chalandray avant 1861. Elle n’est mentionnée nulle part en 1851 et 1856. Pourtant, il n’y a que peu de doute qu’elle n’ait pas vécu chez les Miljeu, à la Binauderie, puis à Cramard, puisque son dossier le mentionne et qu’on la retrouve pour la première fois, à l’âge de 12 ans, ‘enfant de l’hospice’, chez le couple Miljeu, dont tous les enfants ont quitté la maison. Pourquoi cette omission ?

En novembre 1862, Pierre Miljeu meurt à Cramard. Edvige va changer de famille « nourricière » et se retrouve ‘servante’ et ‘enfant de l’hospice’ chez Pierre Felix, garde particulier au bourg de Chalandray.


AD86 – Recensement Chalandray 1866

C’est Pierre Felix qui lui sert de « tuteur » pour le compte de l’Assistance publique quand Edvige, 20 ans, épouse le jeudi 20 novembre 1868, à Chalandray, Jean-Pierre Pelletier, âgé de 25 ans.

mariage de Pelletier Jean Pierre et Edwige Colnay
L’an mil huit cent soixante huit le douze du mois de novembre onze heures du matin. Par devant nous maire officier de l’état civil de la commune de Chalandray canton de Vouillé département de la Vienne sont comparus dans la maison commune pour contracter mariage d’une part : Pelletier Jean Pierre âgé de vingt quatre ans gagiste demeurant au moulin de Rouilly en cette commune, né à Cramard en cette commune le dix sept du mois de décembre mil huit cent quarante trois ainsi qu’il est constaté par son acte de naissance extrait du registre de notre commune, fils mineur et légitime de Pelletier Jean âgé de cinquante neuf ans journalier demeurant à Cramard en cette commune ici présent et consentant, et de défunte Pagot Jeanne décédée au sus dit lieu de Cramard en cette commune le vingt un du mois de novembre mil huit cent soixante trois ainsi qu’il est constaté par son acte de décès extrait du registre de notre commune, et demoiselle Edvige Colnay âgée de vingt ans, gagiste demeurant à Cramard en cette commune, née à l’hôpital général de Poitiers le seize du mois d’octobre mil hui cent quarante huit ainsi qu’il est constaté par son extrait de naissance ci annexé fille naturelle de père et mère inconnus mais appartenant à l’hospice de Poitiers elle nous a exhibé un extrait du registre des délibérations de la commission administrative des hospices de Poitiers en datte du sept novembre présent mois ainsi conçu, vu l’avis de monsieur Pintai tuteur légal des enfants assistés autorise le mariage de la fille naturelle Delphine, dite Edvige Colnay, avec le nommé Pelletier Jean pierre de la commune de Chalandray; désigne comme tuteur ad hoc pour donner son consentement au mariage de la future et l’assister dans la célébration de son mariage le sieur Felix propriétaire à Chalandray chez lequel estée depuis quatre ans ; ampliation de cette décision sera transmise au sieur Felix et annexée aux pièces et produite au bureau de l’état civil; l’extrait est signé Pontois et Helion Pain secrétaire; le sieur Felix est ici présent et consentant; ainsi qu’il est constaté par le sus dit extrait ci annexé d’autre pars; les quels nous requis de procéder à la célébration du mariage projeté entre eux dont les publications ont été faites en cette commune les dimanche dix huit et vingt cinq du mois d’octobre dernier à l’heure de midi sans opposition interpellé sur l’existence d’un contrat de mariage les futurs époux ont répondu qu’il n’en existe point entre eux; aucune opposition au dit mariage ne nous ayant été signifié faisant droit à leur réquisition après avoir donné lecture de toutes les pièces ci dessus stipulées et du chapitre six intitulé le mariage avons demandé séparément et publiquement aux futurs époux s’ils veulent se prendre pour mari et pour femme chacun deux ayant répondu publiquement et affirmativement déclarons au nom de la loi que Pelletier Jean Pierre et Edvige Colnay sont unis par le mariage de quoi avons dressé acte en présence de Gaudon Jacques âgé de quarante neuf ans journalier demeurant à Cramard en cette commune ami de l’époux, de Dubois Xavier âgé de vingt huit ans journalier demeurant à Cramard en cette commune cousin germain d’une part; de Catu pierre âgé de trente sept ans journalier demeurant au même lieu ami de l’épouse et de pierre Bondonneau âgé de quarante ans fermier demeurant à la Rondelliere commune d’Ayron canton de Vouillé ami de l’épouse d’autre parts, et ont les dits contractants et témoins après lecture à eux faite du présent acte déclaré ne savoir signer sauf l’épouse et Catu qui ont signé avec nous. dont acte

Et Edvige signe son acte de mariage, seule ou presque à signer, elle l’enfant trouvée, la petite servante issue de l’assistance qu’on omet de mentionner sur les registres. Seule ou presque au milieu de toutes les personnes présentes, elle signe.

Jean-Pierre Pelletier, le jeune mari d’Edvige, est originaire de Gâtine et de Parthenay par son père, de Chalandray et de Chiré-en-Montreuil par sa mère, décédée. Il travaille au moulin de Rouilly sur la paroisse de Chalandray. Le jeune couple, comme tant d’autres autour d’eux, n’a que peu de biens et ne vit que de son travail quotidien.

Le jeune couple habite d’abord à Cramard, puis va changer régulièrement de lieu de vie, à Chalandray ou Ayron, probablement en suivant les emplois réguliers de moyenne durée que le couple peut trouver.

Très vite, Edvige est enceinte, et les grossesses et les naissances – et les décès d’enfants en bas âge – s’enchaînent.

  • Eugène, né à Cramard le 14 août 1869
  • Pierre Georges, né à Cramard le 4 février 1871, mort le lendemain 5 février 1871
  • Marie Germaine, née à Cramard le 3 janvier 1872
  • Philomène Alexandrine, née à Bois sur l’Asne – un hameau présent sur le cadastre de 1830, mais qui ne figure plus sur les cartes actuelles – le 25 février 1875
  • Marie Louise, née à La Vauceau le 4 novembre 1876, morte avant ses 12 ans le 9 mars 1888, aux Courtinières
  • Clémentine, mon arrière grand mère, née le 25 mai 1879 à La Vauceau
  • Clodomir, né le 30 avril 1882 à la Jaunelière – aujourd’hui la Jounellière – , sur la commune d’Ayron
  • Valentine, née le 25 avril 1884 aux Courtinières, à Chalandray, morte au même endroit avant ses 3 ans, le 16 janvier 1887
  • Emma Valérie, née le 22 mars 1886 aux Courtinières, morte au même endroit le 9 avril 1892, à 6 ans à peine
  • Maxime Norbert, né le 12 avril 1889 aux Courtinières
  • Clément Auguste, le dernier né, né le 28 mars 1891, aux Courtinières

Il y a 21 ans, 7 mois et 14 jours entre la naissance de l’ainé et du dernier de la fratrie. D’ailleurs, Eugène le fils ainé est au service militaire au 151e régiment d’infanterie depuis le 11 novembre 1890 quand son dernier petit frère vient au monde.

La vie pourrait continuer tranquillement pour Edvige, qui a 43 ans quand sa fille Emma décède le 9 avril 1892. Elle est encore en âge d’avoir des enfants, même si la famille est déjà particulièrement étendue.

La famille quitte les Courtinières, probablement à la Saint Michel, et retourne vivre à La Vauceau. Et c’est là, dans sa maison, que décède Jean-Pierre Pelletier, 48 ans seulement.

Il ne laisse pas grand chose à sa veuve Edvige, comme l’indique sa déclaration de succession, qui fait état d’une absence de patrimoine. En fait, il ne lui laisse que 7 enfants, 4 fils et 3 filles. L’ainé a 23 ans, le dernier n’en a que 2.

Edvige ne se remarie pas. Elle travaille comme journalière, et avec l’aide des plus grands, va pouvoir élever les plus jeunes. Chacun de ses sept enfants survivants lors du décès de leur père va arriver à l’âge adulte, se marier, avoir une descendance.

Je connais Edvige depuis ma petite enfance. Pour moi, elle est grand mère Edvige, la mère de grand mère Clémentine, la grand mère de mon grand père Achille, qui l’a brièvement connue. Il avait 6 ans quand elle est morte, le 1er juillet 1912 dans sa maison de Cramard, à quelques dizaines de mètres de la maison où vivait sa fille Clémentine, à l’âge plutôt jeune de 63 ans.

Bien sûr, je n’ai pas vraiment connu Edvige, je ne sais même pas à quoi elle ressemble. Mais souvent j’ai entendu parler d’elle, cette « héroïne » de ma généalogie, qui a su faire front et toujours avancer, malgré l’adversité. Lors d’une de mes dernières rencontres avec Régine, la jeune sœur de mon grand père Achille, ma grand-tante me racontait encore combien Edvige portait bien la toilette, quand elle mettait ses beaux habits du dimanche. Ses descendants y voyaient le signe d’une naissance « flatteuse », l’imaginaient enfant illégitime d’un haut personnage poitevin. Pour moi elle est surtout cette petite fille qui malgré un début de vie tragique a survécu, qui a appris à lire et écrire avant 20 ans, qui a élevé avec rigueur les plus jeunes de ses enfants malgré la disparition prématurée de son mari, leur permettant d’avoir les outils pour s’élever hors de leur condition de petits paysans poitevins.

Je retrace patiemment la descendance – très nombreuse – d’Edvige, dont je ne connais vraiment que les descendants de Clémentine, mon arrière grand-mère. Quand j’ai l’occasion de contacter un arrière petit enfant d’un de ses enfants, je demande toujours s’il y a des photos de mariage des aïeux, des photos de famille. Qui sait, un jour peut-être saurai -je à quoi ressemblait grand-mère Edvige, cette femme forte, vers la fin de sa vie.

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Carte des lieux de vie d’Edvige Colnay

En juin 1985, ma grand tante Régine avait réuni une partie des descendants d’Edvige. C’est avec cette photo d’une belle réunion de famille que je vous propose de dire au revoir à mon arrière arrière grand mère.

Sources et liens

  • Blog du Cercle Généalogique Poitevin – Enfants trouvés à Poitiers
  • Les petites mains – Histoire de mode enfantine – La vêture des enfants trouvés
  • AD86 – Naissances Poitiers 1848 – Acte 638 – Acte de naissance d’Edvige Colnay – vue 148/201
  • Gallica – Titre :  Plan de la ville de Poitiers. Achille Piqst fecit Éditeur :  L. Dources (Poitiers)Date d’édition :  1850
  • AD86 – Enregistrement Vouillé 1889-1900 – lettre P vue 5/14

4 réponses à “E comme Edvige”

  1. Après cette lecture émouvante je souhaite de tout coeur que vous puissiez retrouver un jour une photo d’Edvige.

  2. Encore un très bel article, sur une femme forte et attachante !

  3. Quelle vie bien remplie ! Un bel exemple de femme forte qui emplissent l’Histoire !
    Merci de nous l’avons fait découvrir.

  4. Courageuse Edvige … Quel destin ! Merci de nous l’avoir conté…

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