Les frères Dabzat

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 9 minutes


J’ai connu Marguerite Jeanne Dabzat, la grand mère maternelle de mon mari, vers la fin de sa vie. Je ne l’ai jamais entendue parler de son enfance. Quand elle racontait ses souvenirs, sa vie semblait avoir commencé avec son mari, Daniel Karcher. Elle parlait de la maison de Saint Cloud – que nous n’avons encore pas pu situer, il faut que je me décide à aller à la mairie – , de celle du Vésinet,  du champagne au petit déjeuner, de cette belle vie qu’elle a vécu jusqu’en février 1928 , quand brusquement son mari est décédé. Elle avait raconté à son unique petit fils – mon mari – que sa famille venait du Périgord, depuis toujours, et qu’après la mort de son père, forgeron à Champlaurier, commune de Saint-Claud, le 28 août 1893 , quand elle n’avait que 5 ans, c’est son frère Paul, prêtre, son parrain, qui s’était occupé d’elle.

En tête de courrier des forges de Champlaurier vers 1890, où le père et les frères Dabzat étaient employés
En tête de courrier des forges de Champlaurier vers 1890, où le père et les frères Dabzat étaient employés

Quand en 2015, après que les archives de la Charente ont mis en ligne l’état civil de Saint-Claud, j’ai pu tirer quelques fils, j’ai découvert que Marguerite avait une fratrie bien plus nombreuse que ce que sa fille, ma belle mère, savait. Trois frères : Paul, Jean et Henri, et une soeur, Maria, étaient présents sur les recensements à Nieuil en 1886 et 1891.

J’avais retrouvé la naissance de Paul en 1871 à Beleymas (1), en Dordogne, là où les parents, Jean Dabzat et Marie Sinsous, s’étaient mariés (2), puis celle de Jean en 1874 à Saint Hilaire d’Estissac (3), une bourgade proche de Beleymas. Cet acte de naissance m’indiquait un mariage en 1900 dans une autre commune de Dordogne, Savignac-Lédrier (4), et c’est là que je trouvais la naissance d’une petite Maria Dabzat en 1901 (5). Mieux encore, l’acte de naissance de Maria indiquait qu’elle était morte en 1987 à Fabas, dans l’Ariège. Ma belle mère avait donc une cousine germaine qu’elle aurait pu rencontrer.

Depuis, j’étais restée coincée sur cette recherche, et sur le mystère entourant le départ de Jeanne pour Paris, vers 1910. Tout ce que je savais, c’est qu’en juillet 1911, elle avait mis au monde une petite fille de père inconnu, Denise, reconnue quelques jours plus tard par Daniel Karcher. Ma belle mère a toute sa vie pensé que sa mère avait quitté la Charente parce qu’elle n’y avait plus de famille. Jamais elle n’a su qu’elle avait deux oncles, une tante, plusieurs cousins germains et même une grand mère maternelle, quelque part au sud de la Garonne.

C’est grâce à Mélanie, une consoeur généablogueuse qui tient l’excellent blog Murmures d’ancêtres que j’ai enfin pu progresser dans cette recherche, et en savoir plus sur les trois frères Dabzat. J’avais cherché sans succès leurs fiches matricules en Dordogne et en Charente. Point de Dabzat, aucun des trois frères, nulle part. Fin juin, la Haute Vienne, mon dernier espoir, a mis en ligne ses registres d’état civil. Mais les registres matricules n’étaient toujours pas disponibles. C’est alors que Mélanie s’est proposé d’aller voir pour moi aux archives à Limoges. Et c’est là qu’elle a trouvé les fiches matricules de Paul, Jean et Henri, et me les a fait parvenir. Qu’elle en soit encore une fois très chaleureusement remerciée.

Tout d’abord clarifions pourquoi les fiches matricules des trois frères Dabzat sont archivées à Limoges.

AD_87 - Registres matricules conservés à Limoges
AD_87 – Registres matricules conservés à Limoges

Paul appartient à la classe 1891, Jean à la classe 1894 et Henri à la classe 1898. Tous trois sont recensés à Saint Claud, en Charente, dans l’arrondissement de Confolens. Si vous aussi vous cherchez vos anciens conscrits de l’arrondissement de Confolens, vous savez désormais que c’est à Limoges qu’il faut vous rendre.

Grâce à ces trois fiches matricules, voici ce que j’ai pu – enfin – reconstituer de la vie des trois frères de Jeanne Dabzat.

Paul Dabzat – 1871-1900

Paul nait le 29 juin 1871, dans le village de Chabinel, sur la commune de Beleymas (1), où la famille de sa mère, Marie Sinsous, habite depuis avant la Révolution. Avant lui est née en 1869 une petite Marie, morte le jour de sa naissance (6). La famille habite la même maison que Guillaume Sinsous et Anne Fabre, les parents de Marie. Entre 1882 et 1886, la famille quitte le canton de Villamblard, où Jean Dabzat exerce le métier de forgeron, et part s’installer près de la forge de Nieuil, en Charente.

Migrations de la famille de Jean Dabzat et Marie Sinsous
Migrations de Jean Dabzat – 1837-1893 – ma connaissance de la famille en juin 2015

Dans le recensement de 1886, à Nieuil, il est indiqué que Paul est forgeron (7). Il appartient à la classe 1891 (8). Il est ajourné en 1892, sa fiche matricule mentionne qu’il est élève ecclésiastique. Il effectue son service militaire du 11 novembre 1893 au 25 septembre 1894 au 138ème régiment d’infanterie, stationné à Bellac et Magnac-Laval (9).

Dès sa sortie du service militaire, il entre au séminaire d’Angoulême, le 3 octobre 1894. Quel parcours l’a conduit de la forge à l’église catholique ? Où a t’il fait son petit séminaire ? Sur sa fiche matricule il est indiqué qu’il habite à Nieuil et qu’il est cultivateur, mais je doute que ces deux renseignement soient exacts. La mention « élève écclesiastique » raconte une autre histoire, mais je n’ai pas encore trouvé d’éléments m’indiquant comment ce fils de forgeron est devenu homme d’église (10).

Paul est ordonné prêtre le 29 juin 1897, et rejoint le petit séminaire de Richemont (11), probablement en tant que professeur jusqu’à la fin de l’année 1899.

Petit Séminaire Notre Dame de Richemont (16)
Petit Séminaire Notre Dame de Richemont (16)

Sur le site Aux racines du passé (13), consacré au séminaire de Richemont, j’ai trouvé le visage d’un jeune prêtre qui ressemblait à la petite photo de Paul que nous avons dans un vieil album. Le webmestre du site m’a gentiment transmis la photo, en me confirmant qu’il s’agissait bien de la photo des professeurs pour l’année 1897.

Paul Dabzat - 1897 - Petit séminaire de Richemont - 16 - Photo confiée par le site Aux racines du passé
Paul Dabzat – 1897 – Petit séminaire de Richemont – 16 – Photo confiée par le site Aux racines du passé

Le 12 janvier 1900, la fiche matricule de Paul indique qu’il est domicilié à Aussac. Il est le curé du village. Mais il est très vite victime d’un grave accident. Il serait tombé d’un pont et se serait brisé le dos, selon la légende familiale. Il meurt à l’hôpital d’Angoulême le 23 février 1900, à 28 ans (12).

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A partir de la cartographie Heredis
Jean Dabzat – 1874-?

Jean – qui est mentionné sous les prénoms d’Edmond Edouard sur le recensement de 1886 à Nieuil (7) – naît le 11 mai 1874 à Saint-Hilaire-d’Estissac, dans le canton de Villamblard, à quelques kilomètres de Beleymas (14). Il appartient à la classe 1894, et il est donc recensé début janvier 1895 à Confolens, dont les registres sont conservés à Magnac-Laval. Sa fiche matricule précise qu’il mesure 1m61, qu’il a une cicatrice à la joue droite, qu’il sait lire et écrire et qu’il exerce à Nieuil la profession de forgeron martineur.

Il fait son service militaire du 16 novembre 1895 au 22 septembre 1898 au 95ème régiment d’infanterie. Le 26 septembre 1896, il devient soldat ouvrier armurier. Quand il quitte l’armée, il part résider à Savignac-Lédrier, en Dordogne.

Le 15 mai 1900, il se marie à Savignac-Lédrier avec Emilie Texier (4). Selon son acte de mariage, sa mère, Marie Sinsous, présente au mariage, habite aussi à Savignac-Lédrier. Il n’y a malheureusement pas de recensement dans la commune en 1901 pour me permettre de vérifier qui habite vraiment dans le village à l’époque.

Le 29 mai 1901 naît à Savignac-Leydrier une fille, Maria Dabzat. Sur l’acte de naissance figure la mention d’un décès à Fabas, en Ariège, le 3 novembre 1987. Il semble d’après une information trouvée par l’intermédiaire de Geneanet dans l’Express du Midi du 18 mai 1925 que Maria ait épousé un certain Emile Galeppe, domicilié à Toulouse.

Jean a t’il eu d’autres enfants ? Pour l’instant, je n’ai pas trouvé d’autres informations à ce sujet.

Le 12 septembre 1904, la famille de Jean s’installe à Beaucaire-sur-Baïse, arrondissement de Mirande, dans le Gers, et c’est là qu’il habite quand la guerre éclate.

Il est appelé au 90ème régiment territorial d’infanterie le 1er janvier 1915. Le 2 septembre 1915, il est détaché comme ouvrier armurier a priori à Beaucaire sur Baïse, chez Claude Barlet. Malheureusement, sans archives en ligne pour le Gers, il est difficile d’en savoir plus. Le 11 décembre 1921, il quitte le Gers pour l’Ariège, pour la commune de Tarascon-sur-Ariège. Quand la publication du prochain mariage de sa fille est indiquée dans le journal, en 1925, Maria – et probablement ses parents – habite à Tarascon-sur-Ariège. Mais je n’ai pas trouvé de trace de la famille dans le recensement de 1926. Pour l’instant, la piste s’arrête ici.

A partir de la cartographie Heredis
A partir de la cartographie Heredis
Henri Dabzat – 1878-1963

Henri nait le 30 septembre 1878 à Montagnac-la-Crempse, commune du canton de Villamblard (15). Il appartient à la classe 1898 du recensement militaire de Magnac-Laval, matricule 1530 (16).
En 1899, lors du recensement militaire, il habite Saint-Claud. Il mesure 1m58, il sait lire et écrire et il a une cicatrice du côté gauche du visage, comme son frère Jean. Il est forgeron martineur. Il fait son service militaire au 78ème régiment d’infanterie du 16 novembre 1899 au 20 septembre 1902.

En août 1903, il part vivre dans la commune du Pizou, en Dordogne, où il travaille probablement aux forges de Coly, qui ont employé jusqu’à 300 ouvriers entre les deux guerres mondiales (17). En février 1904, il part dans l’Ariège, à Niaux, à quelques kilomètres de Tarascon. Il y a dans la région abondance de fer, et les forges et les hauts fourneaux sont nombreux. Le 3 mars 1905, Henri épouse à Niaux une jeune fille de la région, Pauline Pages (21). Ils vont avoir deux enfants, Gaston né en 1906, et Alberte, née en 1910, dont j’ai retrouvé la sépulture à Surba sur le site Cimetieres-de-france.fr.

Le 13 août 1914, Henri, mobilisé, rejoint le 134ème régiment territorial d’infanterie (18). Il reste aux armées du 24 septembre 1914 au 14 juillet 1915. Il rejoint le régiment probablement en Touraine, participe à la défense mobile de Paris, à quelques kilomètres de là où habite sa jeune soeur Marguerite, restée dans la capitale. Puis c’est Mourmelon le Grand, où le 134ème régiment d’infanterie participe à la défense du front, autour d’Auberive, pendant 8 mois.

Huit mois, le 134e R. I. T. a vécu dans les pentes crayeuses de la Champagne, ses pioches et ses  pelles les ont creusées, il y a souffert des obus, des balles, de la pluie, du froid et lorsqu’il part le 15 juin 1915 il laisse dans les pins rabougris 4 tombes ; elles sont le prix de la garde de ce coin de France.

Puis du 15 juin au 15 juillet 1915, le 134ème RIT est dans la Somme, où il participe à l’entretien des positions de 2ème ligne. Le 15 juillet 1915, alors que le régiment retourne en Champagne et va le 25 septembre être chargé d’assurer l’approvisionnement des troupes coloniales qui combattent, Henri retourne dans l’Ariège, pour travailler comme ouvrier de l’armurerie à l’usine Delmas, à Tarascon. L’usine d’Achille Delmas fabrique des outils et des pièces forgées et a passé un marché d’état pour l’approvisionnement des armées. On la retrouve mentionnée dans la liste des entreprises ayant fait l’objet d’une imposition supplémentaire sur les bénéfices exceptionnels liés aux marchés de l’Etat (19).

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Henri retourne à la vie civile le 12 février 1919. En 1921, il habite la commune de Surba, où il est recensé avec son épouse Pauline, ses deux enfants Gaston et Alberte, et sa mère Marie Sinsous.

Je le retrouve dans les recensements de Surba jusqu’en 1936.

En février 1937, il reçoit la médaille d’honneur du travail en argent, en tant qu’ouvrier martinetteur dans la maison S. Delmas à Surba (20). Son acte de naissance indique qu’il est mort le 28 décembre 1963, sans indiquer de lieu. Son fils Gaston s’est marié, peut être a t’il des enfants, peut être vais je ainsi retrouver des descendants de Jean Dabzat et Marie Sinsous, et grâce à eux avoir accès à des souvenirs de famille ou des photos des arrières grands parents de mon mari.

Cartographie réalisée à partir d'Heredis
Cartographie réalisée à partir d’Heredis

La mère de Marguerite, Marie Sinsous, cette grand mère que ma belle mère pensait morte avant même la première guerre mondiale, vivait donc en Ariège jusqu’au moins 1926, puisque je la retrouve en avril 1926 dans le recensement de Niaux, où elle est pensionnaire chez Baptistine Blazy. C’est probablement là qu’elle est morte avant le recensement suivant. C’est en avril 1926 que  ma belle mère, un des cinq petits enfants que j’ai retrouvés à ce jour, est née à Paris. Je ne saurai jamais si Marie Sinsous a eu des nouvelles de sa dernière fille, je pense ne jamais savoir pourquoi Marguerite est partie alors qu’a priori le reste de la fratrie restait soudé, vivant à quelques kilomètres les uns des autres. Mais je suis contente d’avoir pu reconstituer une partie du parcours de vie de la descendance de Jean Dabzat et Marie Sinsous, grâce à trois simples fiches matricules.

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Aperçu généalogique
Branche Karcher
Nom: Jean Dabzat
Parents:Laurent Dabzat et Marie Lapouyade
Epouse: Marie Sinsous
Lien de parenté: Arrière grand père de mon mari
  1. Jean Dabzat
  2. Marguerite Jeanne Dabzat
  3. Christiane Karcher
  4. mon mari
Aperçu généalogique
Branche Karcher
Nom: Marie Sinsous
Parents:Guillaume Sinsous et Anne Fabre
Epoux: Jean Dabzat
Lien de parenté: Arrière grand mère de mon mari
  1. Marie Sinsous
  2. Marguerite Jeanne Dabzat
  3. Christiane Karcher
  4. mon mari
Sources et liens
  1. AD24 – Naissances Beleymas 1871 – acte 5 vue 3/7
  2. AD24 – Mariages Beleymas 1868 – acte 4 vue 4/6
  3. AD24 – Naissances Saint Hilaire d’Estissac 1874 – acte 1 vue 2/6
  4. AD24 – Mariages Savignac-Lédrier 1900 – acte 10 vue 10/20
  5. AD24 – Naissances Savignac-Lédrier 1901 – vue 10/21
  6. AD24 – Naissances Beleymas 1869 – acte 15 vue 6/7
  7. AD16 – Recensement Nieuil 1886 – vue 13/54
  8. AD87 – Registres matricules Magnac Laval 1891 – matricule 1473
  9. Le 138ème régiment d’infanterie
  10. Gallica – Notice sur les écoles secondaires écclesiastiques du diocèse d’angoulême au XIXème siècle
  11. Wikipedia – Chateau de Richemont
  12. Archives municipales d’Angoulême – Décès Angoulême 1900 – Acte 133 vue 25/140
  13. Aux racines du passé – site sur le séminaire de Richemont, avec un nombre impressionnant de photos
  14. AD24 – Naissances Saint Hilaire d’Estissac 1874 – acte 1 vue 2/6
  15. AD24 – Naissances Montagnac la Crempse 1878 – acte 15 vue 10/15
  16. AD87 – Registres matricules Magnac Laval 1898 – matricule 1530
  17. Le Pizou – site officiel – Histoire de Le Pizou
  18. Historique du 134ème régiment d’infanterie
  19. CAEF – Fiscalitéé – Impositions liées à la Première Guerre Mondiale
  20. Gallica – JORF du 9/02/1937 – A69-N33
  21. AD09 – NMD Aulos 1873-1882 – acte 1 vue 18/103

2 réponses à “Les frères Dabzat”

  1. Encore une fois, un article excellent pour une superbe enquête généalogique 😉

  2. Je ne pensais pas, ce jour-là en cliquant trois fois sur le déclencheur de mon appareil photo, que de telles histoires ressurgiraient…
    Et après on me demande pourquoi je fais de la généalogie et suis bénévole (au Fil d’Ariane) et dépanne les autres !
    En tout cas je suis heureuse pour toi de toutes ces découvertes.
    Mélanie – Murmures d’ancêtres

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