Le contrat de mariage de Jean Baptiste Billard, une seconde lecture

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 7 minutes


Temps de lecture: 7 minutes

La généalogie est une pratique qui pour la plupart d’entre nous ne s’acquiert que par l’expérience. On découvre sur le tas, on fait des erreurs, on pose des questions, on essaye de comprendre à son rythme. C’est la raison pour laquelle il est toujours intéressant, quelques années plus tard, quand on a plus d’expérience, de revenir sur les premiers documents qu’on a étudiés, sur les premières familles sur lesquelles on a travaillé. Il est fréquent qu’on y trouve de nouvelles pistes, qui avaient échappées au néophyte qu’on était alors.

J’ai ainsi ressorti le contrat de mariage de Jean Baptiste Billard avec Jeanne Barrot, le 7 août 1767 à Cournanel, dans l’Aude. Ce document m’avait été transmis en 2013 par un lointain cousin qui descendait du couple. A l’époque, je l’avais transcrit et intégré dans mon logiciel de généalogie, mais il n’avait pas été classé avec ses pairs – les actes notariés sources de mes recherches – et trainait dans un coin de mon disque dur. Son classement m’a donné l’occasion de le relire, et de prêter plus d’attention aux détails qu’il contient.

Jean Baptiste Bilhard, ou Billard, les deux graphies étant interchangeables au 18e siècle, est un des petits fils de Bernard Billard, maire d’Arques entre 1693 et 1702. Son père Jean Bilhard s’est installé à Cournanel, à quelques kilomètres au sud de Limoux.

Le chateau des éveques d’Alet à Cournanel

Que nous raconte donc ce contrat de mariage, passé devant Jacques Antoine Ribes, notaire à Limoux?

On commence par l’état civil des parties. Jean Pierre Billard est ménager, c’est à dire qu’il exploite des terres qu’il possède. Ses parents, Jean Billard et Françoise Aybram sont décédés et son frère Bernard est présent au mariage. Jean Billard, le premier des Billard à vivre à Cournanel, est mort le 22 juillet 1759. Son épouse Françoise Aybram était morte 20 ans plus tôt, en 1739. Bernard, mon ancêtre, est  l’ainé de la fratrie. S’il est né à Cournanel, ce que pour l’instant je ne peux affirmer, c’est avant la période pour laquelle les registres paroissiaux ont été conservés. Jean-Baptiste en revanche est bien né à Cournanel, le 3 février 1729. Il a donc 38 ans au moment de ce mariage, son premier mariage qui plus est. Pourquoi a t’il attendu aussi longtemps ?

Le futur couple signe le contrat de mariage le 7 août mais attend encore un mois avant de faire célébrer le mariage, qui n’a lieu que le 9 septembre 1767. Pourquoi ce délai supplémentaire, alors que les époux ne sont pas de première jeunesse, et que les différentes conditions matérielles semblent être réglées ? Le délai que j’ai jusqu’à présent constaté entre contrat de mariage et célébration semble ne suivre aucune règle. Parfois le contrat de mariage est signé le matin, et la cérémonie a lieu l’après-midi, parfois il peut s’écouler plusieurs semaines. Peut on déduire de ce délai d’un mois que les mariés n’étaient pas enthousiastes et se pliaient au souhait de leur entourage ? Ou serait-ce le père de la mariée qui n’est pas si pressé de se retrouver avec un gendre dans les pattes ?

On apprend en effet à la lecture du contrat que la future épouse, Jeanne Barrot, détient en nue propriété les biens que sa mère, morte en 1738 à Cournanel, lui a légué. Mais c’est son père, Pierre Barrot, qui en a l’usufruit, la jouissance, en raison de la « puissance paternelle ». En Languedoc, le père de famille continue à exercer l’autorité sur ses enfants vivants avec lui jusqu’à sa mort, ou jusqu’à ce qu’il soit trop faible pour rester le chef de famille, et doive donc céder la place au fils dont il fait son héritier universel. Traditionnellement, les filles quittent la maison paternelle lors de leur mariage, et passent alors sous l’autorité de leur mari, et du père de celui-ci s’il est toujours vivant. Dans le cas de Jeanne Barrot, elle est la seule enfant survivante de Pierre Barrot et Rose Marti. Elle va donc rester dans la maison de son père, et c’est son époux qui va venir y vivre. Mais dans un premier temps ils vont tous les deux, mari et femme, dépendre de l’autorité paternelle de Pierre Barrot, qui a donc l’usufruit des biens propres que sa fille a reçu en héritage de sa mère. Après le décès du père, les biens de Jeanne, estimés à 500 livres, seront administrés par son époux Jean Baptiste, qui doit selon le contrat de mariage affecter une partie de ses biens propres à l’augment, autrement dit au douaire de son épouse. S’il décède avant elle, elle reprendra les biens apportés en dot, qui lui appartiennent en propre, et recevra l’usufruit sa vie durant de biens appartenant en propre à son mari, mais qui lui sont affectés exclusivement sa vie durant, afin de garantir son avenir matériel.

Le contrat précise ensuite que le nouveau couple va venir habiter au domicile du père de la mariée, qui s’engage à les entretenir, eux et leur progéniture, à condition « qu’ils travaillent à son profit autant qu’ils pourront ». Si d’aventure les relations n’étaient pas bonnes, et que le nouveau couple se trouve contraint de ne plus habiter avec le beau-père, ce dernier devra leur rendre la jouissance de tous les biens dont sa fille détient la nue-propriété.

Vient ensuite la partie du contrat qui traite des apports du mari, et de la façon dont il a reçu ce qu’il peut apporter. C’est là que le contrat de mariage devient une source particulièrement intéressante pour l’histoire de la fratrie Billard.

En quatrieme lieu le futur epoux se constitue de son chef, les biens et droits à lui avenir du chef de ladite feue françoise aybram sa mere, decedée abintestat, de laquelle la succession aurait dû être partagée en sept portions égales eu égard au nombre de sept enfants qu’elle laisse à elle survivant; et attendu que depuis le décès de ladite aybram trois de ses enfants sont morts abintestat et sans laisser de postérité il est convenu entre ledit futur epoux et ledit Bernard Bilhard son frère cessionnaire de Germaine et Catherine Bilhard leurs soeurs, que ledit futur epoux aura pour sa portion de la succession de ladite mère et de celles de ses frères et soeurs prédécédés, les pièces et possessions suivantes situées au terroir dudit Cournanel dépendantes desdites successions, …

On apprend ainsi qu’à sa mort, le 31 juillet 1739, Françoise Aybram a laissé 7 enfants vivants, mais qu’entre temps trois des enfants sont morts. Il resterait donc en septembre 1767 uniquement quatre enfants dans la fratrie, à savoir Bernard, Jean-Baptiste, Germaine et Catherine. Grâce aux registres paroissiaux, je connaissais déjà

  • Bernard, marié le 9 mai 1758 à Pomy avec Marthe Vayre
  • Jean-Baptiste, né à Cournanel le 3 février 1729, qui passe le contrat de mariage en question et se marie à Cournanel le 9 septembre 1767
  • Germaine, née à Cournanel le 11 août 1731, mariée le 23 novembre 1762 à Cournanel avec François Gache
  • Catherine, née le 16 mai 1734 à Cournanel, mariée le 9 février 1762 à Cournanel avec Guillaume Tournier
  • Jeanne, née le 30 juillet 1737 à Cournanel

De la lecture du contrat de mariage, je déduis que Jeanne est morte avant la date du contrat – mais quand ? – et qu’il manque deux enfants dans la fratrie Billard.

Le contrat de mariage se réfère également à deux testaments, celui de Germaine Bergé, la mère de Françoise Aybram, et celui de Jean Billard, le père des enfants. Tous les deux ont été apparemment passés devant Maitre Ribes, notaire à Limoux. J’ai fait une demande au Fil d’Ariane de l’Aude, et quelques jours plus tard, les testaments étaient dans ma boite aux lettres virtuelle. Ces testaments complètent les indications données dans le contrat de mariage de Jean-Baptiste.

Dans son testament, daté du 10 octobre 1741, Germaine Bergé nomme les six enfants de sa fille, ses seuls petits enfants, qui recevront chacun 100 livres à leur établissement, ou quand ils seront majeurs de 25 ans : Bernard, Barthelemy, Estienne, Baptiste, Germaine et Catherine.

Je découvre ainsi que la petite Jeanne, la dernière née de la fratrie, est morte avant octobre 1741, et que les deux enfants que je n’avais pas encore trouvés sont Barthelémy et Estienne, morts entre 1741 et 1769.

Le testament de Jean Billard, passé le 19 juillet 1759 , nous apprend qu’Estienne, lui, est mort avant que son père teste.

Quant à Barthélémy, je trouve dans ma base de données un Barthélémy Bilhard, inhumé le 31 juillet 1759, quelques jours après Jean Billard, mais dont l’acte de sépulture non filiatif ne m’avait pas permis de le considérer comme appartenant à la même famille. Le fil d’Ariane a mis la main sur le testament de Barthelémy, passé le 26 juillet 1759, et me l’a également transmis.

Grâce aux trois actes notariés retrouvés, et lus avec attention, j’ai pu reconstituer la fratrie. A partir de ces éléments, je vais reprendre la lecture attentive des registres de Cournanel, à la recherche des actes manquants.

Mais revenons au contrat de mariage de Jean-Baptiste.

Jean-Baptiste Greuze L'accordee de Village.jpg
Par Jean-Baptiste Greuze — From: en:Image:Jean-Baptiste Greuze L’accordee de Village.jpg. Uploaded originally by en:User:nonenmac, Domaine public, Lien

Jean-Baptiste apporte sa part de l’héritage de sa mère et de ses frères et soeurs prédécédés, à savoir deux champs et un lit, estimés à 400 livres, dont il va désormais pouvoir disposer, en renonçant par la même occasion à faire d’autre demande concernant l’héritage de sa mère. Il apporte ensuite 100 livres venant de sa grand mère, comme indiqué dans le testament qu’elle a fait, et 500 livres venant de son père. Les sommes sont cohérentes avec les testaments, mais je suis surprise que Jean-Baptiste ne reçoive cet argent et ces terres qu’au moment de son établissement. Les testaments de son père et de sa grand-mère précisaient que les héritages seraient touchés quand l’héritier s’établirait, ou quand il serait majeur de 25 ans. Jean-Baptiste en a 38 quand il passe son contrat de mariage, et donc s’établit, mais il aurait pu prétendre à son héritage venant de sa grand mère depuis 1754, année où il a eu 25 ans, et dès la mort de son père en 1759. Pourquoi a t’il attendu, laissant son frère gérer et profiter de cette part héréditaire ?

En 2013, j’avais lu et transcrit une première fois le contrat de mariage de Jean Baptiste, la transcription était correcte, mais je n’en avais tiré que peu d’informations. C’est en reprenant ainsi des informations entrées depuis un certain temps dans mon arbre, et en découvrant des indices que j’avais ignorés à l’époque, que je me rends compte que ma pratique de la généalogie s’est améliorée.

Et vous, revenez vous parfois sur les actes de vos débuts ?

Aperçu généalogique
Branche Billard
Nom: Jean Bilhard
Y-DNA: Haplogroupe J M172
Parents: Bernard Bilhard et Jeanne Guiraud
Epouses : Françoise Aybram ; Antoinette Combes
Lien de parenté: mon ancêtre paternel à la 9e génération
  1. Jean Bilhard
  2. Bernard Bilhard
  3. François Billard
  4. Jean-Pierre Billard
  5. Michel Firmin Billard
  6. Jean Joseph Billard
  7. Gaston Billard
  8. Gaston Billard
  9. moi
Sources et liens
  • Dousset Christine, « Femmes et héritage en France au XVIIe siècle », Dix-septième siècle, 2009/3 (n° 244), p. 477-491. DOI : 10.3917/dss.093.0477. URL : https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2009-3-page-477.htm
  • Archives de l’Aude – BMS Cournanel 1727-1792
  • Archives de l’Aude – Etude notariale de Jean Jacques Ribes, Limoux – 3E 2329 – 3E 2301
  • Testament de Germaine Bergé [wpdm_package id=’13821′]
  • Contrat de mariage de Jean Baptiste Billard et Jeanne Barot [wpdm_package id=’13828′]
  • Testament de Jean Bilhard [wpdm_package id=’13838′]

 


4 réponses à “Le contrat de mariage de Jean Baptiste Billard, une seconde lecture”

  1. […] Dans Le contrat de mariage de Jean Baptiste Billard, une seconde lecture (publié le 26 oct. 2017), Brigitte reprend une transcription qu’elle avait réalisé en 2013. Forte de quatre années supplémentaires d’expérience, elle a pu avoir une nouvelle approche, su comment compléter, mener des recherches plus approfondies, et découvrir ainsi toute une fratrie. […]

  2. Brigitte, si le contrat de mariage date du 7 août et le mariage du 9 septembre, il ne s’est écoulé qu’un mois entre les deux événements, il me semble. Mais cela n’enlève rien à l’intérêt de ton article. Tu as raison, il est bon de revenir sur les éléments que nous avons collectés à nos débuts en généalogie, on y fait parfois des découvertes qui nous avaient échappées dans un premier temps.

    1. Brigitte

      pffff merci Dominique, tu as parfaitement raison, quand je dis que mon cerveau commence à me faire défaut
      Je vais corriger tout ca

      1. Dominique Chadal

        Cela nous arrive à tous et à toutes.

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