Claudine Billard et le maquis Bertrand

Ecrit par

Brigitte Billard

Publié le

Temps de lecture : 8 minutes




Parmi les quelques souvenirs d’enfance que papa avait partagés avec nous, certains me sont restés : celui de l’ainé de la fratrie qui du haut de ses 12 ans, pendant que son père se battait en Italie, avait été chargé par sa mère de fermer le gaz et les lumières de l’appartement avant de les rejoindre dans l’abri pendant les bombardements qu’il y a eu sur Alger; celui du petit garçon avant guerre qui allait jouer près de Notre-Dame d’Afrique pendant que sa grand-mère, Mémé Philomène, allait voir sa sœur, religieuse cloîtrée; et quelques bribes de souvenirs de vacances à Béziers, dans la grande maison de son grand-père Jean-Joseph, où une cousine un peu plus vieille s’amusait à leur lancer des orvets du jardin, à son petit frère Roland et lui, pour les effrayer.

J’ai mis longtemps à faire le lien entre cette cousine de Béziers et celle avec qui papa et maman avaient dîné à Marseille, fin septembre 1955, à la fin de leur voyage de noces en métropole, juste avant de reprendre le bateau pour Alger. Maman se souvenait qu’ils étaient allés chez la « seconde femme de Jean-Joseph » et y avaient rencontré une cousine et son mari.

Les souvenirs sont des pistes de travail, elles ajoutent un éclairage plus personnel à la reconstitution des liens familiaux.

Il m’a fallu des années pour reconstituer l’histoire, donner un nom – le même – aux deux cousines, celle de Béziers et celle de Marseille, et savoir qui était vraiment la dame chez qui papa et maman l’avaient revue en septembre 1955.

Claudine Josette Marthe Eveline Billard – N 19/01/1927 – Béziers – D 06/04/1971 Marseille – cousine germaine de mon père – photo trouvée dans son dossier d’homologation F.F.I.

J’aurais pu ne jamais vraiment m’intéresser à Claudine si je n’avais pas eu la curiosité de consulter les inventaires des dossiers de résistants mis en ligne par le SHD.

A ma grande surprise, j’y ai découvert qu’une certaine Claudine Evelyne Billard, née en 1927, y avait un dossier de FFI. Un dossier d’appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur, pour une jeune fille née en janvier 1927, et qui avait donc moins de 18 ans au moment des débarquements de 1944 en Normandie et en Provence, c’est une situation particulièrement rare dans mon histoire familiale.

Comment se retrouve t’on à tout juste 16 ans à faire passer des vivres, des armes, des tracts, entre Montpellier et les maquis de l’Hérault ?


Mon arrière grand père Jean Joseph Billard, gendarme à Realmont et marié à Philomène Blanco, mon arrière-grand-mère, avait rencontré une jeune femme, Caroline Paulin, mariée elle aussi, maman d’une petite fille, et avait eu une liaison avec elle.

Un garçon, Georges Billard, est né de leur union le 19 juin 1906, au 10 rue Guilhaumon à Béziers, alors que Jean-Joseph vivait encore avec Philomène et le petit Gaston Michel Billard, mon grand père, né le 23 juillet 1905, au 31 de la rue des Casernes. Très vite, Caroline et son fils sont venus s’installer au domicile conjugal, et Philomène a quitté Béziers avec Gaston pour retourner vivre avec son frère et sa sœur en Algérie. Et Jean Joseph, Caroline et Georges ont formé la nouvelle famille de mon arrière grand père, une famille qui n’a été officialisée que par étape. En mai 1910, Jean Joseph a reconnu Georges, et en avril 1928, Caroline et Jean-Joseph se sont mariés, après avoir divorcé de leurs conjoints respectifs en 1920.

Jean Joseph Billard et Caroline Paulin – Collection privée

Le 4 octobre 1926, Georges, qui a à peine plus de 20 ans, épouse à Béziers Valentine Lachaise, née en novembre 1897 à Gigean. Valentine est modiste, elle a 28 ans, et elle est très enceinte.

Moins de quatre mois plus tard, le 19 janvier 1927 nait à Béziers une petite fille, Claudine Josette Marthe Eveline Billard, la première petite fille de mon arrière-grand-père Jean-Joseph, la demi-nièce de mon grand-père Gaston, la demie-cousine germaine de papa.

En 1931, Georges, Valentine et Claudine habitent Villa Rey, chemin Gausselet, quartier de l’Alcazar, à Béziers, dans la maison de Jean-Joseph et Caroline. Claudine n’a eu encore ni frère, ni sœur – du moins pas officiellement.

Mais Caroline, la grand mère de Claudine, est malade, de cette maladie qui a frappé son père avant elle et emportera plus tard sa sœur et sa fille, puis plus tard encore son fils et sa petite fille …

Louisa Paulin et Andrée Vincens, la soeur et la fille de Caroline Paulin

Caroline Paulin meurt le 27 décembre 1934, à Béziers. A partir de ce décès, je perds la trace de mon grand-père Jean-Joseph, dont j’ignore toujours à ce jour la date et le lieu du décès. Pourtant, c’est probablement entre 1935 et 1938 que mon père est deux fois allé en vacances à Béziers avec ses parents et son petit frère Roland. Mais où exactement ? Et c’est là qu’il a probablement rencontré Claudine, la petite fille qui lui jetait des orvets dans le jardin pour l’effrayer.

Claudine, sa cousine germaine, qui vivait probablement chez son grand-père avec sa maman Valentine.

Claudine qui ne vivait déjà plus à cette époque avec son père Georges.

Parce que l’histoire familiale se répète.

Georges, vers 1930-1931, rencontre une jeune femme de son âge, Yvonne, avec laquelle il va avoir trois enfants entre 1932 et 1934, trois enfants dont j’ai cherché la trace pendant des années jusqu’à ce qu’une correspondance ADN en janvier 2019 nous mette en contact.

Le 12 février 1944, George Billard décède à Charlieu, dans la Loire. Il a 37 ans et c’est une certaine Yvonne Duperret, sans parenté apparente avec lui, qui déclare le décès. Pourquoi Charlieu ? Qu’y faisait-il?

J’avais à l’époque fait quelques recherches sur cette Yvonne Duperret, peut-être née à Charlieu en 1907 – une possibilité trouvée dans le recensement de Charlieu en 1911 – sans pouvoir aller plus loin. Maintenant que je sais qu’Yvonne est la mère des trois autres enfants de Georges, la mère des trois demis-cousins germains de papa, et que ses parents habitaient à Charlieu, je comprends que c’est là que le couple se trouvait en 1944.

Depuis quand y habitait il?

Selon le registre matricule de Georges, en septembre 1936 il habitait à Montpellier, puis en mars 1939 à Carpentras. Son acte de décès indique en 1944 que sa résidence est à Palavas-les-Flots.

Mais une chose est sûre, Georges n’habitait plus le domicile conjugal, avec Valentine Lachaise et leur fille Claudine.

Selon son acte de naissance Claudine est née à Béziers, le 19 janvier 1927, avenue de Belfort, chalet des pervenches, aussi appelé parfois villa des pervenches. C’était alors le lieu d’habitation de mon arrière grand père Jean Joseph. Vers 1928-1929, Jean Joseph Billard fait faillite, et la villa des Pervenches est mise en vente par adjudication le 6 novembre 1930.

En 1931, lors du recensement, la famille – petite fille, parents et grands parents paternels – ont déménagé, toujours dans Béziers, et vivent chemin Gausselet. L’acte de naissance de Claudine mentionne églement qu’elle s’est mariée le 8 janvier 1949 avec un certain Lucien Garaud, et qu’elle est décédée à Marseille le 6 avril 1971, à 44 ans. A Marseille, où elle a donc rencontré mes parents, lors d’un dîner auquel assistait son mari.

Quelque part entre 1934 et 1940, Claudine et sa mère ont quitté Béziers et sont parties vivre à Montpellier, ou plus probablement à Castelnau-le-Lez, juste au nord de Montpellier.

AD34 – Annuaire du département de l’Hérault vue 188/890

Selon son dossier FFI, Claudine, vers 1940, habite à Castelnau-le-lez, quartier du Prado, Villa les Pervenches.

Je trouve surprenant que la jeune fille habite à Castelnau une maison qui porte le même nom que celle où elle est venue au monde. Erreur, confusion, coïncidence, ou indice ?

C’est probablement à Castelnau-le-Lez que la toute jeune Claudine rencontre Marie Philomène Gruet, épouse de Paul Albert Hubert, homme de lettres, plus connu sous son nom de plume, qu’il semble avoir substitué officiellement à son patronyme, Albert Paul-Hubert.

Comment Claudine a t’elle rencontré les époux Paul-Hubert ? Etaient ils voisins de la maison où vivait la jeune fille, probablement avec sa mère ?

Le couple Paul-Hubert mérite un article à lui seul, pour lequel j’ai besoin d’accéder à leurs dossiers FFI, dont je viens juste de trouver les références.

Paul Albert Hubert est né le 25 juin 1872 à Coincy dans l’Aisne, d’un père marchand de vins en gros. Il est encore tout jeune quand sa famille part s’installer à Narbonne, où son père travaille dans le négoce du vin, puis à Montpellier où dès le lycée, il se lance dans l’écriture et la poésie, sous le nom de plume Paul-Hubert. Vers 1906, il monte à Paris, où il collabore à plusieurs magazines littéraires et journaux. Il publie quelques recueils de poèmes, se marie une première fois avec une certaine Jeanne Duhard.

Marie Philomène Gruet nait le 1er avril 1887 à Lomme, dans le Nord. A 21 ans, elle épouse Georges Brissé. Après son décès, elle vit à Paris, où elle a déjà 40 ans quand elle rencontre Albert Paul Hubert – ou Albert Paul-Hubert – , 55 ans. Le couple se marie à Paris le 8 mars 1928.

Quand viennent ils s’installer à Montpellier, où vit toujours le frère cadet d’Albert Paul-Hubert ?

Vivent ils déjà à Castelnau-le-Lez vers 1942, quand ils rencontrent la jeune Claudine ?

A partir de quand travaillent-ils pour la résistance ? Sans leur dossier FFI, c’est assez difficile à préciser.

Dans le Journal de marche du maquis Bertrand, il est précisé qu’un bon nombre de jeunes réfractaires – au STO – affluent en 1943 au maquis Bertrand, en provenance de Montpellier, où ils sont recrutés par Madame Paul Hubert et son mari.

Quelques mots sur le Maquis Bertrand

C’est autour de la commune du Bousquet d’Orb que s’est constitué fin 1942 – début 1943 le Maquis du Bousquet d’Orb, appelé aussi le Maquis Bertrand, du nom de l’homme qui l’a créé, le commandant Beffre, dont le nom en résistance était Bertrand.

Le maquis va plusieurs fois devoir se déplacer pour échapper aux recherches de la Gestapo.

Au départ, il s’agit principalement de résistance larvée : presse clandestine, camouflage et ravitaillement des réfractaires, donc ceux nombreux recrutés par Mme Paul-Hubert à Montpellier, qu’on place dans les exploitations forestières, dans les fermes, trafic de fausses cartes d’identité et d’alimentation. Un terrain de parachutage homologué par Londres et Alger, « Pascal », est mis en place au niveau des communes de Lunas, Dio et Valquières.

Bertrand organise les différents maquis, entraine des équipes destinées aux sabotages. En avril 1944, il est arrêté au Bousquet d’Orb, mais réussit à s’échapper. A l’approche du Débarquement, l’effectif du maquis Bertrand compte plus de 1000 hommes, répartis sur plusieurs sites, qui vont participer à différentes opérations militaires à partir du débarquement en Provence du 15 août 1944.

Dans les archives du Maquis Bertrand conservées au SHD se trouve une liste nominative de 114 noms reprenant des membres du Maquis Bertrand, homologuée en 1970.

Dans cette liste figurent Claudine Billard, seule femme sur les 144 noms, et un certain Paul Hubert.

Claudine et la Résistance

Voici comment Claudine décrit ses services au sein du Maquis Bertrand dans sa demande d’homologation FFI

Bien que très jeune mais formée à son idée par Madame Paul Hubert je devins officiellement sa secrétaire a/c du 1.1.1943 servant comme : agent de liaison – Ravitaillement des personnes recherchées – Transport armes – Distribution de tracts alors imprimés dans une salle du palais de justice de Montpellier d’où nous fûmes délogés, prévenus par une personne amie; Inscrite alors aux : Front National – M.U.R. et plus tard au F.U.S.P – A.S.M.B.3. Lors de l’arrestation de Mme et M Paul Hubert, ayant échappé miraculeusement aux miliciens je prévenais tous les amis et attendis. L’avance de l’armée française, débarquée depuis peu, la menace toujours présente de l’A.S. qui multipliait ses coups de mains et le mitraillage des troupes par l’aviation alliée forcèrent les allemands à fuir notre sol, encombrant nos routes de toutes sortes de voitures et moyens de locomotion. Je distribuais alors du ravitaillement pris aux allemands par l’armée et me mettais à nouveau à la disposition de Mme Paul Hubert, libérée mais combien meurtrie. J’ai été en relation avec le Lieutenant Guy Farenc alias Sommer et Jean Pierre Cadier alias Peters. Je joins à cette présente demande les certificats délivrés par mes anciens chefs.

Attestation de Mme Paul-Hubert
Attestation du commandant Quarante

Toutes les personnes mentionnées par Claudine dans son dossier ont elles aussi un dossier archivé au S.H.D.

Retour à la vie civile

Après la libération de l’Hérault, fin août 1944, Claudine, qui n’a encore que 17 ans et 7 mois, prend un emploi de mécanographe à l’Institut National des Statistiques, puis elle travaille quelques mois à la direction du Recrutement à Montpellier.

Au printemps 1946, elle quitte Montpellier avec sa mère, Valentine Lachaise, pour Marseille, où vit sa tante maternelle, Marthe Lachaise, dont le mari Marcel Couzinie est receveur des PTT depuis décembre 1939.

Le 8 janvier 1949, Claudine, qui vient tout juste d’avoir 21 ans, épouse Lucien Francis Garaud, militaire de carrière, 27 ans.

J’ignore toujours si le couple a eu des enfants.

Comme son père Georges Billard, comme sa grand mère Caroline Paulin, comme sa tante Andrée Vincens, comme sa grand tante la poétesse occitanne Louisa Paulin, comme son arrière grand père Pierre Paulin, Claudine est atteinte de neuropathie amyloïde. Comme eux, elle meurt bien trop jeune, à 44 ans, à Marseille, le 6 avril 1971.


La plus belle sépulture, c’est la mémoire des hommes. André Malraux

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